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Ce grand personnage, élevé en Angleterre, enthousiaste de lord Palmerston, était pour l’agent anglais, qu’il avait connu à Téhéran, un protecteur naturel. Son grand âge, sa surdité presque complète l’éloignant des affaires actives, on venait de le nommer mutawali, ou gardien du temple de l’imam Riza, glorieuse sinécure à laquelle est attaché un revenu de 40,000 tomans, soit 500,000 francs environ. Si quelqu’un pouvait, par sa position et son influence, paralyser le mauvais vouloir que les habitans de Meshid, imbus des préjugés les plus exclusifs, portaient sans doute au voyageur survenu parmi eux[1], c’était bien certainement le mashir. La bonne volonté de ce dignitaire ecclésiastique devait néanmoins, et contrairement à toute prévision possible, attirer sur la tête du diplomate anglais un des plus grands périls que lui ait jamais fait courir son aventureuse carrière. Nous le laisserons raconter lui-même, en abrégeant toutefois quelques détails, cet épisode, un des plus saisissans de sa curieuse odyssée ; mais auparavant, il importe de rappeler ici que dans cette ville de Meshid, peuplée de quatre-vingt à cent mille âmes, le fanatisme est poussé plus loin que dans le reste du pays. Les tombes des plus grands saints de l’islamisme y attirent, nous l’avons déjà dit, une foule de pèlerins, population flottante dont le trait caractéristique est un zèle passionné pour les intérêts de la religion musulmane; il domine chez eux toutes les notions de justice et d’humanité[2]. N’oublions pas en second lieu que le Khorassan, dont l’état normal est une incessante agitation, se trouvait complètement bouleversé, au mois de septembre 1862, par la guerre d’invasion dont il était le théâtre. Dost-Mohammed devant Hérat, le prince gouverneur en campagne à la tête de toutes les forces disponibles et occupant avec quinze ou vingt mille hommes une espèce de camp d’observation à trois marches en avant de Meshid, cette ville elle-même livrée aux fauteurs de désordres, la désertion chez les chefs qui partaient l’un après l’autre pour le camp des Afghans, la méfiance, la panique et la colère au sein des foules, les pays adjacens ravagés par les razzias turcomanes, d’autant plus multipliées que la situation générale semblait les favoriser davan-

  1. Ils avaient contre lui des griefs de plus d’une espèce, car à leurs yeux il n’était pas seulement un infidèle, mais encore un représentant de l’Angleterre, de l’Angleterre qui payait un subside à Dost-Mohammed, et qu’ils regardaient comme soldant les troupes afghanes dont Hérat était entourée. Or le siège d’Hérat portait un grand préjudice aux Meshidis, qui font un commerce très actif avec cette ville.
  2. Un des imams de Meshid, « vrai sayd » ou descendant du prophète, à qui notre agent demandait si « la ville sainte » renfermait beaucoup de sectaires, lui répondit avec une parfaite naïveté: « Non, vraiment, nous ne connaissons rien de semblable. Il y avait bien quelques Juifs, mais nous les avons ramenés à la religion de Mahomet... Nous tuons, voyez-vous, ceux qui ne sont pas orthodoxes, et par conséquent l’hérésie n’existe pas chez nous. »