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même quand un derviche en est victime, seront toujours bien accueillis à Téhéran. »


Il faut revenir cependant à des sujets plus sérieux. Dès les premiers jours de mars 1861, le diplomate actif et résolu qu’on vient de voir à l’œuvre, et dont la santé se remettait à peine, reçut une mission sur le but de laquelle il a gardé le silence le plus complet, mais qui s’explique d’elle-même par l’itinéraire qu’il suivit. De la capitale, l’agent anglais se rendit à Kasvin, puis à Resht, d’où il repartit le 1er avril pour Enzelli. C’est le nom, assez peu connu, d’un port que possèdent les Persans sur une vaste lagune qu’un étroit goulot met en communication avec la Mer-Caspienne. Là, il prit passage (au grand regret du capitaine) sur un bateau russe, la Vodka, frété par l’entreprise fusionnée qui exploite la navigation de ces parages (Kavkas and Mercurei company). Mal manœuvré par un officier dont la paresse et l’ignorance ne sont malheureusement pas tout à fait exceptionnelles, le navire alla s’envaser à la côte en vue d’une vingtaine de barques de pêche montées par des Turcomans. Passer la nuit dans le voisinage de ces prétendus pêcheurs, qui se transforment volontiers en pirates, n’avait au fond rien de très rassurant; mais, avec l’insouciance qui les caractérise, les Russes ne chargèrent même pas leur unique pièce de canon. L’événement justifia leur sang-froid hors de saison, et la Vodka, dégagée le lendemain, transporta le voyageur sur le point qu’il lui importait d’explorer, c’est-à-dire dans le port d’Ashuradah. C’est seulement en 1841 que Hajji-Mirza-Aghassi, le premier ministre de Mohammed-Shah, laissa les Russes occuper amiablement deux îlots inhabités qui servaient jusqu’alors de retraite aux flibustiers turcomans. Ils constituent le seul port digne de ce nom qui se puisse trouver sur la Mer-Caspienne. Sa position en fait le point de départ et la base des opérations militaires les plus importantes. Apte à recevoir un nombre illimité de vaisseaux, il est de plus admirablement placé pour favoriser un débarquement sur les côtes voisines. Une armée russe, transportée dans ce havre parfaitement sûr, trouverait à l’est, presque parallèles à la ville d’Asterabad, des passes, praticables en toute saison, qui lui permettraient de déboucher sur le plateau persan. Maîtresse d’Asterabad, qui ne saurait lui offrir une résistance sérieuse, elle avancerait jusqu’à Shârhûd, et de là, suivant le but, l’objectif de l’expédition, marcherait soit à l’est, du côté de Hérat, soit à l’ouest, dans la direction de Téhéran. « Il est indubitable, dit l’écrivain anglais, que les Turcomans, en pareille occurrence, prêteraient secours aux Russes, car un de leurs principaux chefs, Kâdir-Khan, a fait d’Ashuradah sa résidence habituelle, et chaque année voit grandir l’influence mos-