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cavaliers mingréliens armés jusqu’aux dents lui servaient d’escorte, et l’un d’eux avait, passée à sa ceinture, une énorme cuiller dorée, insigne de ses fonctions, qu’il vint présenter pleine d’excellent vin de Gouriel aux deux voyageurs altérés. Une fois à Marand, où ils se séparèrent de leurs nouvelles connaissances, le plus grand danger était passé pour eux; ils semblaient du moins avoir impunément traversé la zone fiévreuse. Une telega les conduisit en poste jusqu’à Kutaïs. Après une selle cosaque, cette voiture ouverte, où de nombreux grelots remplacent les ressorts absens, gagne singulièrement à la comparaison. Dans la capitale de l’Imérétie, ils trouvèrent mieux encore : une antique dormeuse, d’un poids énorme et dont les roues prirent feu à la quatrième station. Il fallut s’installer alors au sommet d’une montagne de bagages empilés dans une misérable carriole. Suram, où ils arrivèrent ainsi, n’est qu’à vingt-sept verstes de Burjân, et le vice-roi du Caucase habitait alors dans cette résidence d’été, située sur les bords de la rivière Kur (ou Cyrus), qui va se jeter dans la Mer-Caspienne. Pouvait-on passer, sans lui rendre hommage, si près d’un personnage qu’on peut regarder après le tsar comme la seconde tête de l’empire russe? Son aide-de-camp ne le pensait pas, et le diplomate anglais, soit complaisance, soit curiosité, finit par se rendre à cet avis. Il y gagna, familier avec les paysages indiens, de retrouver parmi les gorges du Caucase quelque chose comme les Ghats de l’Himalaya; il y gagna aussi de faire connaissance avec le vainqueur de Schamyl, qui lui fit un excellent accueil, lui par la beaucoup de Constantinople, et sembla se complaire à lui montrer le théâtre des divers combats où, pendant la campagne de Crimée, l’armée turque eut à subir de si rudes échecs. Akshur, Akhaltzick, Abbâs-Tûmân, furent ainsi successivement explorés, avec force chroniques militaires dont le prince Tarkanof, le Bayard de l’armée du Caucase, était presque toujours le héros. C’est lui qui dirigea naguère à Gounieb l’assaut à la suite duquel Schamyl tomba entre les mains des Russes, et les mauvaises langues qui contestent au prince Bariatinski les qualités du chef d’armée racontent que le vice-roi ne se doutait nullement de cette attaque audacieuse au moment où elle eut lieu. Un de ses officiers qui venait de voir, à l’aide de son télescope, les bataillons moscovites se précipiter sur la brèche, l’avertit de ce qui se passait, et le prince, bien qu’il eût fait aussitôt seller son cheval, n’arriva qu’après la reddition de la place.

Toutes ces excursions occupèrent une huitaine de jours (du 13 au 21 août), et le voyage de Burjàn à Tiflis, accompli moitié dans la donneuse, moitié dans le fourgon d’un officier de cosaques, ne se fit ni très rapidement ni dans des conditions très favorables. Le secrétaire de légation y arriva le 22 août, et une fois là, payant d’un seul