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décesseur à la légation de Téhéran, — lui montre les palais Brignole et Spinola; le 8, il touche à Civita-Vecchia; le 9, il jette l’ancre dans la baie de Naples, où un officier de la marine britannique, mécontent de son équipage, constate la supériorité de nos matelots sur ceux que la vieille Angleterre peut mettre en ligne. Avant midi, le lendemain, il débarque à Messine, encore tout étourdi des chants et des clameurs enthousiastes qui saluaient à bord du Vatican les foudroyans succès de Garibaldi. Chez le consul anglais, on lui raconte l’attaque prochaine de la ville par ce merveilleux partisan, et avant de monter sur le Borysthène, qui va le transporter à Constantinople, il boit au succès du libérateur quelques verres de lacryma-christi. Le 12, il touche au Pirée, et deux rosses poudreuses le traînent péniblement au pied de l’Acropole. Athènes le désappointe, l’Hissus lui semble un mauvais canal de touage; on ne pourrait pas faire circuler une barque sur son lit fangeux. C’est tout au plus si un gentleman voudrait de l’arc d’Adrien pour décorer l’entrée de son parc; le temple de Jupiter approche seul du grandiose. Décidément la cité de Pallas vaut à peine un coup d’œil. En revanche, l’entrée des Dardanelles, par un beau soleil couchant, dans la soirée du 13, et le magnifique panorama de Constantinople, si souvent décrit par des gens qui le déclarent indescriptible, dédommagèrent le voyageur de sa déception classique. Quinze jours de halte lui étaient accordés, et malgré la terreur causée par la nouvelle des massacres de Syrie, malgré les sinistres présages que les résidens russes se plaisaient à répandre dans un esprit d’ironique rancune, il commença philosophiquement, sur ce volcan près de s’ouvrir, l’étude de la langue turque. Restait à choisir sa route ultérieure. Se rendrait-il à Téhéran par Trébizonde, Erzeroum, sans quitter les états du sultan, ou bien, — ce qui semblait plus prudent en de pareilles circonstances, — aborderait-il la Perse par les frontières russes, c’est-à-dire par Poti et Tiflis? L’ambassadeur (prince Labanof) trancha la question en offrant au voyageur de le recommander à un aide-de-camp du prince Bariatinski, le vice-roi du Caucase, et ce fut sous la conduite de cet officier que le diplomate anglais prit passage à bord du Mitidja, bateau à vapeur français, qui, après avoir fait escale à Ineboli, à Sinope (le 1er août), et le lendemain à Samsoun, le déposait dans la soirée du 3 sur les quais de Trébizonde. De cette ville à Batoum et à Poti, la traversée se fit sur un steamer russe, l’Empereur Alexandre, qui transportait à Tiflis une troupe de chanteurs italiens. Les cavatines, les duetti, les chœurs se succédaient sans interruption. Les actrices, loin des regards du public, s’abandonnaient à toutes les vivacités de leur humeur, et la prima donna, taillée dans des proportions herculéennes, accablait de ses caprices tyranniques un malheureux imprésario,