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Il va voir son pré, son carré de légumes. Il les contemple, il n’a pas besoin de se baisser pour toucher sa terre, ses mains y adhèrent aussi facilement que ses pieds. Il ramasse une branche morte, il gratte le sol avec une vieille pioche ébréchée. Peut-être que ce vieil outil est un dieu aussi. Il rêve, il croit travailler. Il rentre et s’enferme. Dort-il, ou est-il mort? On n’entend pas un souffle s’échapper de cette demeure sombre. Aucune petite lueur ne tremblote à la fenêtre. Il n’a plus un chien, plus un chat, plus une poule, il est seul! Autant dire qu’il n’est plus.

Aimes-tu mieux le ravin vu d’en haut ou vu d’en bas? Moi, je ne sais pas encore. Quand, du carrefour de la croix des Chocats et du tournant de ce chemin, où, quoi qu’on fasse, on est saisi par le vertige, ma vue plonge dans cette scène riante et austère, je déclare que c’est de là qu’il faut la voir. De là la composition est vaste, le grand méandre de la Creuse, bleu comme le ciel et rayé de blanches cascades, prend une majesté singulière. Ces promontoires de verdure, ces moissons qui s’aventurent sur les terrasses de schiste noir et se penchent orgueilleuses sur l’abîme, ces dépressions imposantes de la falaise antédiluvienne, ces granits dentelés qui couronnent le nord et descendent comme des torrens pétrifiés jusqu’au lit de la rivière, ce mélange de choses terribles et de choses gracieuses, les roches nues et les veines fertiles, les arbres et les prairies côtoyant les blocs revêches, tout cela est d’un arrangement splendide, et la fantaisie n’y voudrait rien changer.

Mais quand j’ai laissé derrière moi le village enfoui dans la gorge et sa grande prairie encaissée, quand, du sentier qui longe le petit torrent de Gargilesse, j’arrive à sa jonction avec le grand gave, la Creuse, ce même pays vu d’en bas est un autre pays qui me semble plus beau que l’autre, et je dirais volontiers comme ce maître d’italien qui, me parlant de mes deux enfans, s’écriait : Ils vont très bien, surtout la demoiselle et surtout le garçon : L’endroit est admirable, surtout d’ici et surtout de là-haut.

En bas pourtant, le caractère d’austérité mystérieuse domine le caractère riche et varié. L’idylle tourne un peu au drame. La Creuse parle très haut, et ses blocs de diorite noire prennent leur véritable importance dans le fracas et dans l’écume. Il y a là ces ruines d’un vieux pont emporté par les trombes, que l’on ne distingue presque plus des rochers voisins, mais qui ont encore l’air de vaincus consternés. La gorge se resserre et tourne brusquement. L’effet du soleil incliné, si nécessaire à l’aspect des plus belles choses, se produit ici quand même, mais autrement, en plein midi. Le rayon vertical dore la mousse en lames veloutées sur la tête des masses rocheuses et fait ressortir leur riche couleur de fer rouillé, tandis