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le menuisier. Elle éclaire le profil des ruines qui tantôt était dans l’ombre. Tout le tableau a changé d’aspect depuis que je suis là. Cette morte a deux fois enchanté le paysage. Sérénité, tu n’es pas le génie, tu n’es pas le soleil, mais tu n’es pas la mort!

Jeudi. — Le voici, le soleil d’avril, chaud comme un soleil de juin. Il a l’air de me traiter de paresseux. Il me reproche de ne m’être pas levé avec lui. Il méprise le soin vulgaire que je prends de faire mon lit, de balayer ma chambre et de brosser mes habits. Pourquoi, me diras-tu, n’avoir pas amené Marie avec moi? J’aurais été une heure plus tôt saluer sa majesté soleil. — Oui, mais Marie, qu’il faut bien laisser dormir le soir, si elle doit s’éveiller dès le matin, m’eût empêché de regarder la lune une heure plus tard. Axiome : quand on veut faire la cour à la lune, c’est-à-dire ouvrir son rideau à minuit et flâner aux étoiles à travers les vitres pendant des heures qu’on ne veut pas compter, il faut être seul en son logis.

Vivre seul, tout seul! — je ne dis pas dans la prison cellulaire, autant vaut se dire enterré, — seul sous un toit où l’on se retire le soir, comme un lièvre en son gîte, pour songer, c’est de temps en temps une bonne chose, si l’on a un but approprié à cette retraite volontaire ; mais la solitude imposée par le sort ou acceptée par le cœur, le toit n’abritant qu’une tête, la privation systématique ou obligatoire de famille ou d’amitié, c’est crime, malédiction ou manie. A notre logis rustique est accolé ce logis que tu sais, logis tout pareil, mais misérable, un taudis. Il y a encore là un vieillard, un spectre à l’œil pâle, aux reins plies comme le dos d’un livre, et il est tout seul. Il avait, l’année dernière, un autre spectre à ses côtés, sa vieille femme, qui toussait d’une manière si déchirante que je l’entendais à travers ma grosse muraille. Elle est morte, et le vieux, qui n’est point pauvre, n’a pas voulu quitter la maison où il avait toujours vécu. Aucun de ses enfans n’a pu demeurer là, chacun ayant sa famille, son établissement, sa nécessité d’être ailleurs, et aucun n’a pu le décider à prendre gîte chez lui. Le paysan est tout imagination sous son matérialisme apparent. C’est toujours l’imagination païenne, la personnification des choses qui l’entourent; sa maison, son champ, son arbre, son mur, deviennent pour lui des êtres, des dieux, qui sait?

Le père Pâques a refusé de vendre la maison qui tombe en ruine sur sa tête. Il a refusé de la faire réparer, disant qu’elle durerait bien autant que lui. Et puis il eût fallu la livrer durant quelques jours aux maçons et n’y plus dormir durant quelques nuits : résolution terrible, impossible à prendre. Il y reste, il y est, il y mourra. Il est content et ne veut être servi par personne. Levé avec le jour, couché avec lui, il fait lui-même sa maigre soupe ; il lui faut si peu !