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homme de la Gaule, on aime son torrent, son chêne et son rocher; on a des enfans et des amis qui vous grondent, si on leur rapporte des rhumatismes. Réflexion faite, on envoie Sylvain à l’auberge, Moreau à ses pénates, les chevaux à l’écurie du voisin obligeant. On allume sa lampe, on fait son lit, on déballe son souper, le plat gaulois, la fromentée dans une écuelle. On le mange avec grand appétit; on cherche dans le vieux bahut; on y retrouve une page commencée autrefois, une plume de connaissance, un encrier qui n’a pas trop séché. On écrit ou on n’écrit pas. A minuit, on entr’ouvre le rideau, et par une lucarne assez claire on voit tout au beau milieu du ciel la lune qui vous regarde avec cette grosse bonne figure blanche où jamais personne n’a pu surprendre la moindre trace de mauvaise humeur. Et cependant l’a-t-on assez injuriée, assez calomniée, cette pauvre lune ! L’a-t-on assez traitée de patronne des sorciers, de flambeau du crime, de reine des enfers ! On l’a même égorgée. La science l’a déclarée morte parce que l’on n’a pu encore découvrir son atmosphère. Je parierais mon bonnet, si j’en avais un, pour l’atmosphère de la lune. Est-ce que nous la verrions, si elle était morte? Est-ce que quelqu’un a déjà vu la mort? Quand nous regardons quelque chose qui paraît mort, pendant combien de minutes, pendant combien de secondes et de millièmes de secondes pouvons-nous constater que cet état de mort subsiste? Il n’est pas dans la décomposition du temps de parcelles de temps assez petites pour mesurer les phases infinitésimales de décomposition par où passe ce cadavre déjà en voie de recomposition quelconque, et depuis que l’homme existe, il verrait ce grand cadavre de planète rebelle aux lois du travail de la vie, qui sont adéquates aux lois du travail de la mort ! — Et quand on pense que les habitans de la lune sont peut-être aussi sceptiques que nous! Je les vois d’ici nous regardant avec leurs lunettes bleues, — elles doivent être bleues, — et, ne pouvant définir la nature de notre atmosphère différente de la leur, je les entends se dire les uns aux autres : Cette pauvre terre ! est-elle assez étouffée sous sa couche de vapeurs et de nuages ! Il est bien impossible que des créatures vivent dans ce liquide où elle barbote. C’est une planète noyée, c’est un astre mort. Paix à sa cendre détrempée !

Quant à moi, je ne puis croire à la mort. C’est une notion qui se refuse à entrer dans mon cerveau. S’il ne s’était servi de ce mot-là, lui qui ne risque rien à se proclamer naïf, je m’écrierais que je crois à la vie comme une brute !

Je lirai encore un chapitre ou deux avant de dormir. — Non, j’aime mieux penser à ceux que j’ai lus; puis le rideau reste ouvert, et la lune passe au-dessus du grand cerisier en fleur de notre ami