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LETTRE
D’UN VOYAGEUR

A M. ALEXANDRE MANCEAU.


Tu veux savoir l’emploi de mes quatre journées de voyage. Ce n’est pas long, le récit d’un voyageur qui ne voyage plus, et le mien pourrait se résumer en quatre mots : j’ai fait douze lieues en lisant, j’ai écouté chanter un oiseau, j’ai vu couler la Creuse. J’ai dormi à Gargilesse, j’ai herborisé un peu, je suis revenu par le même chemin, lisant le même livre. J’ai fait halte sous le même arbre où chantait le même oiseau. Voilà les grandes aventures de mon excursion, et ce n’est guère la peine de les écrire; mais tu veux une causerie et un voyage. Tout est voyage dans le voyage de la vie, tout est sujet de causerie entre vieux amis.

Je suis donc parti ce matin, mercredi, par un temps magnifique, dans la petite voiture ouverte que traînent les deux petits chevaux blancs conduits par le pacifique Sylvain, — et j’ai ouvert le livre.

Quel livre? Ni roman, ni drame, ni poème; un livre que je ne sais comment classer; Est-ce critique ou philosophie? Mais la mission de la critique, c’est de chercher le pour et le contre, et ceci est une affirmation. Philosophie? Peut-être : philosophie de la critique, à un point de vue très absolu sans doute, mais très hardi et très grand.

Chose singulière, tout en lisant, je n’étais pas absorbé dans un autre. Je vivais pour mon compte, je voyais le ciel, je sentais le beau temps et les parfums du mois d’avril. Je comptais les changemens d’horizon, comme quand on va devant soi pour soi. Tout était bien--