Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dispa- à la fois aussi respectable et aussi comique que la perruque du chancelier auprès de la mode du jour. Et au moment où la chambre des communes, se rejetant un siècle et demi en arrière, jouait cette pièce du temps de la reine Anne, Garibaldi recevait ses prodigieuses ovations, et l’on se préparait au jubilé de Shakspeare. Y a-t-il rien en vérité de plus intéressant que ce capricieux séjour que Garibaldi vient de faire en Angleterre? Le succès de l’héroïque condottiere a été complet, absolu. Jamais un homme, un étranger, n’a reçu d’une nation entière un pareil accueil. Depuis cette prodigieuse entrée de Garibaldi dans Londres au milieu d’un peuple en délire jusqu’à la visite du prince de Galles, rien n’a manqué à la manifestation garibaldienne. C’est bien là la nation anglaise, n’ayant qu’une pensée, qu’une préoccupation à la fois, se précipitant tout entière, peuple, aristocratie, royauté, d’un seul côté, entraînant tout et s’entraînant elle-même comme un torrent. Et l’on ne peut dire quelle est la classe qui la première a donné le branle à cet enthousiasme. L’empressement de l’aristocratie auprès de l’illustre Italien n’a fait que suivre, dit-on, l’empressement de la foule des rues : mais avant même son arrivée à Londres Garibaldi n’était-il point l’invité du duc de Sutherland, et le curieux hôte de Stafford-House n’était-il pas désigné d’avance à la sympathique curiosité de l’aristocratie? Au surplus, c’est, si l’on veut, l’habileté de la noblesse et du gouvernement anglais de suivre, le courant de l’opinion en s’efforçant de le dominer. Cette habileté ne leur a point fait défaut en cette circonstance; elle a contribué peut-être à donner au triomphe garibaldien une mesure qui l’a empêché de se compromettre en un dénoûment vulgaire. Il serait injuste de ne pas faire honneur à Garibaldi du tact qu’il a lui-même montré dans cette circonstance. La brusque fin de son voyage n’en est pas l’incident le moins adroitement amené. Que pouvait obtenir de plus Garibaldi en prolongeant son séjour en Angleterre et en visitant les villes de province? De la part des populations, c’eût été la répétition des mêmes hommages, et pour lui un surcroît d’inutiles fatigues. Il faut croire que la santé de Garibaldi n’eût pu supporter la durée de ces agitations, puisque des hommes tels que le duc de Sutherland, lord Shaftesbury et M. Gladstone en ont donné leur parole. Mais lors même que l’on eût conseillé à Garibaldi, dans l’intérêt de l’influence politique que doit avoir la grande démonstration dont il a été l’objet, de ne point se prêter plus longtemps à la représentation du même spectacle, le conseil eût été sage, et Garibaldi, en le suivant, aurait fait preuve de bon sens. L’avis personnel de Garibaldi est que les conseils de ceux qui ont hâté son départ n’ont point été peut-être tout à fait désintéressés, mais que, quant à lui, il emporte dans toute sa fleur un succès auquel rien ne se peut comparer.

Il y a de curieuses rencontres de sentimens s’exhalant des cœurs qui paraissent les moins faits pour obéir aux mêmes émotions. Garibaldi profitait, il y a quelques jours, de sa popularité auprès des Anglais pour leur recom-