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daires claires se défient toujours de la Prusse, et craignent que M. de Bismark, excité par l’accueil que le roi Guillaume a reçu dans les duchés, ne songe à reprendre ses idées d’annexion. Si les craintes des états secondaires étaient fondées, l’Autriche ne tarderait point à se séparer de la Prusse. A travers ces divisions, la politique de la France et de l’Angleterre doit trouver une issue. Quoique l’Angleterre, qui n’a pas l’habitude de modérer son langage, ait fort durement traité les Allemands à propos de l’affaire du Danemark, le gouvernement anglais, on en peut être sûr, n’a aucun goût à pousser les choses à l’extrême vis-à-vis de l’Allemagne. L’Angleterre a une grande sympathie pour le Danemark, mais elle a une répugnance non moins grande à se brouiller avec l’Allemagne. Quant à la France, elle ne soutiendrait pas sa réputation d’habileté et de vigueur, si elle ne savait pas profiter de ces défiances, de ces velléités, de ces divisions, de ces antipathies, qui s’entre-croisent et se neutralisent, pour conduire cet imbroglio à une conclusion pacifique. Nous sommes arrivés à la période ennuyeuse de la question danoise; mais c’est pour cela même que nous nous confirmons davantage dans la certitude de nos espérances de paix.

Les Anglais sont mieux préparés que nous à braver l’ennui de cet épisode diplomatique, car la politique leur apporte de piquantes surprises et des fêtes véritablement amusantes. Ce n’est pas dans leurs scènes parlementaires qu’ils trouvent pour le moment des distractions. M. Disraeli a bien essayé d’appeler l’attention sur la chambre des communes par un bizarre intermède. De vieilles lois qui datent du temps de la reine Anne ou de Burke ont décidé qu’il ne pourrait siéger à la chambre des communes un nombre de sous-secrétaires d’état supérieur à quatre. Or depuis quelque temps cinq sous-secrétaires d’état faisaient partie de la chambre des communes sans qu’on eût pris garde à cette violation flagrante de la légalité littérale. Ni le ministère ni l’opposition n’avaient soupçonné jusqu’à ces derniers jours l’infraction qui mettait ainsi la constitution en danger. Occuper sans droit une place à la chambre des communes, quel crime abominable frappé des peines les plus sévères! Des votes ne passent parfois qu’à une voix de majorité; quel vice introduit à la naissance d’une loi qui n’aura obtenu la majorité que par un vote inconstitutionnel! Comment faire pour réparer ce désordre? Le sous-secrétaire qui doit sortir de la chambre est le dernier nommé, pensent certains légistes; tous les sous-secrétaires d’état qui ont concouru à former le nombre fatal et coupable de cinq, suivant des jurisconsultes plus sévères, ont entaché leur mandat et leur titre de député! M. Disraeli a entamé ce curieux débat avec une solennité archaïque, avec la bonne foi jouée d’un scrupuleux antiquaire, avec des airs superstitieux et des façons d’ancien régime qui ne sont de mise qu’en Angleterre et sont un des traits de ce bizarre pays. Le discours du chef tory, portant dans la politique le raffinement d’un amateur de curiosités, formait sur le fond de la politique contemporaine une dispa-