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rations des classes ouvrières : c’est par là que l’on associera réellement à la vie politique du pays la portion de la population qui fournit à la production nationale le puissant et fécond élément de la main d’œuvre. La plus utile des enquêtes s’ouvre ainsi, celle qui répandra dans tous les rangs de la société les saines idées économiques, et qui doit faire oublier un jour les divisions, les préjugés, les hostilités de classes, qui ont été perpétués chez nous par de fausses doctrines économiques et sociales. Un intérêt politique de premier ordre est aussi engagé dans ces questions. Il serait absurde d’espérer que la liberté pût s’établir en France, si les masses populaires ne comprenaient point que leurs droits et leurs intérêts légitimes n’ont pas de plus efficace garantie que la liberté politique. Leur éducation politique, aussi bien que leur éducation économique et leur amélioration matérielle et morale, est donc en jeu dans les discussions qui s’ouvrent au corps législatif. Au début même, c’est le droit des hommes de travail à la liberté que l’on rencontre et que l’on est forcé de proclamer. Ce que l’on appelle aujourd’hui la liberté de coalition, c’est la reconnaissance légale du droit qu’ont ceux qui représentent le travail à se concerter et à se réunir pour débattre en certaines circonstances le prix de la main-d’œuvre dans le marché de la production. L’exercice de ce droit, tout le monde l’admet, est redoutable pour ceux qui en veulent faire usage. Ce n’est pas gratuitement et impunément que le travail peut entreprendre d’imposer ses conditions ou de se refuser. Dans les tentatives de coalition, les ouvriers sont exposés à commettre des erreurs dont les conséquences les plus cruelles doivent retomber sur eux-mêmes. L’obstacle à leurs réclamations d’élévation de salaire peut se rencontrer bien plus dans l’état du marché des capitaux et dans la loi de la concurrence intérieure et étrangère que dans les calculs intéressés ou le mauvais vouloir des chefs d’industrie. Les masses qui dans la production représentent la main-d’œuvre devront apprendre, peut-être à leurs dépens, que la presque totalité des produits du travail se répartit entre elles, et que le surplus, qui forme la richesse de quelques-uns, est bien peu de chose, comparé à l’ensemble des salaires que les travailleurs se partagent. Il y a là un équilibre délicat dans lequel des coalitions peuvent porter une perturbation funeste, surtout aux ouvriers; toute coalition suivie de chômage équivaut à une destruction de capital, et diminue par conséquent la réserve sur laquelle se prélève la subsistance des travailleurs : toute coalition est donc exposée à aller directement contre la fin qu’elle poursuit, car, pour que le salaire augmente, il faut que la réserve de capitaux où le salaire s’alimente soit accrue par un travail incessant, au lieu d’être diminuée par un chômage aveugle et arbitraire. — Voilà les sévères vérités que les ouvriers devront apprendre dans l’exercice du droit de coalition ; mais la liberté avec ses périls est préférable à une législation restrictive du droit des ouvriers, et que la conscience de notre temps ne pouvait plus supporter. Sait-on quel était le vice de cette législation? Elle