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une loi comme celle de l’enregistrement, qui touche à des intérêts si divers et si complexes? Comment s’est-on obstiné à perdre de vue, à propos d’une vente de propriétés domaniales, le principe qui veut qu’aucune aliénation du domaine n’ait lieu sans la sanction d’une loi spéciale? Dans un autre ordre d’idées, comment comprendre que le gouvernement, qui favorisait, il y a deux mois, les lectures publiques, n’ait pas laissé célébrer à Paris le tercentenary festival de Shakspeare?

Quant au corps législatif, s’il ne lui est point donné encore de distribuer ses travaux de la façon la plus raisonnable et la plus utile, on doit convenir qu’il a fait bonne figure depuis la reprise de ses séances et qu’il gagne en importance aux yeux du pays. Ses discussions viennent à plus d’une reprise d’influer sur les résolutions gouvernementales. C’est ainsi qu’à propos de la loi des sucres le corps législatif a fait prévaloir son sentiment favorable aux colonies. Il s’agissait de la détaxe demandée pour le sucre colonial. Le gouvernement pensait d’abord à limiter à deux ans et demi la faveur de la détaxe de 5 francs; la chambre a voulu prolonger cette faveur jusqu’en 1870. L’opinion dominante dans la chambre avait été combattue par les commissaires du gouvernement; mais l’habile leader du gouvernement vis-à-vis du corps législatif, M. Rouher, a cédé de bonne grâce au vœu de la majorité. Nous croyons pouvoir, sans commettre le délit de compte-rendu illicite, rendre hommage à l’esprit patriotique et au talent déployés par M. Thiers dans la discussion de cette loi. Dans l’intérêt colonial, M. Thiers plaide surtout la cause de l’intérêt politique du recrutement de notre marine. La situation de nos colonies était d’ailleurs bien faite pour exciter les sympathies de la chambre. La légère protection qui vient d’être accordée, pour une certaine période, à leur production sucrière aura principalement sur elles l’influence opportune d’un encouragement moral. La détresse de nos colonies était très grande depuis quelque temps; les colons désespérés subissaient d’énormes dépréciations dans le capital représenté par leurs plantations. Il eût été peu généreux de les abandonner sans transition aux chances exclusives de la liberté coloniale et de leur rendre plus difficile l’accès de la métropole, en les invitant à chercher autour d’elles, comme les colonies anglaises, le débouché naturel de leurs produits; il eût été ironique et barbare, par exemple, de dire à Bourbon d’envoyer ses sucres dans l’Inde, ce qui serait, suivant le mot vulgaire, porter de l’eau à la rivière. Encouragées par le vote du corps législatif, nos colonies tenteront de nouveaux efforts, obtiendront du crédit et se mettront en mesure d’affronter en 1870 la concurrence.

Après la loi des sucres, le corps législatif vient d’aborder la réforme de la loi sur les coalitions d’ouvriers. Ce qui nous plaît dans cette tentative de réforme, ce n’est pas le résultat incomplet que l’on poursuit en ce moment, c’est l’inauguration d’une discussion vigilante et équitable sur la situation du travail en France. On commence enfin à étudier les besoins et les aspi-