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maintenant la démagogie vaincue laisse voir derrière elle des difficultés que l’avenir ne diminuera certainement pas. Bien des esprits vont s’accoutumer à la pensée que le gouvernement clérical, selon l’expression du général Oudinot, est désormais impossible à Rome, et Dieu sait ce qui résultera un peu plus tôt ou un peu plus tard de cette persuasion… » C’est lui encore qui écrit en 1856 : « Oui, le chef de la chrétienté doit être souverain ; mais il faut qu’il soit un souverain capable, administrant bien son état et sachant s’y créer une force morale qui puisse le soutenir. » C’est lui qui, le jour où la catastrophe prévue s’accomplit, dit dans une lettre à M. l’abbé Perreyve : « Si l’Italie brise définitivement le joug de l’Autriche, si elle obtient un gouvernement conforme à ses vœux légitimes, et si en même temps Rome est sauvegardée, j’en rendrai grâces à Dieu. Si au contraire l’une ou l’autre de ces causes périt par la faute des hommes, je le regretterai, je le déplorerai ; mais je n’en serai pas comptable, parce que j’aurai fait dans ma position tout ce que je pouvais faire pour la justice et pour la vérité… » Il n’entrevoit plus dès lors qu’une Italie pacifiée, où le pape « recouvrera une partie suffisante de ses états, » et à ce prix encore « l’avenir vaudra mieux que le passé au temporel et au spirituel. » Qu’il croie à la nécessité du domaine temporel, ou en d’autres termes de l’indépendance, qu’il compatisse aux douleurs d’un pape qu’il aime, oui sans doute ; mais, d’un autre côté, comme il l’écrit à M. de Montalembert lui-même, il « désire l’affranchissement de l’Italie, des modifications sérieuses dans le gouvernement des états romains, et un changement plus grave encore dans la direction morale résumée en ces derniers temps par l’Univers et la Civitta cattolica. » Arrangez tout cela, voyez-y, si vous voulez, des inconséquences ou plutôt des perplexités : vous en ferez sortir des regrets, de saintes colères contre ceux qui ont fait le mal et qui en ont l’orgueil, — une confiance sereine dans les destinées spirituelles de la papauté, — des doutes sur l’unité italienne, non une protestation contre l’affranchissement d’un peuple. C’est qu’en définitive le libéralisme l’emportait dans l’âme de Lacordaire et se mêlait à la foi elle-même, non pour l’altérer, mais pour l’élargir et l’animer. Il était libéral en Italie comme en France, comme partout où il voyait un droit souffrant et attendant son heure.

C’est le secret de sa force, de l’action pénétrante, retentissante de sa parole, et c’est aussi ce qui, dès le lendemain des crises de 1831, lui faisait, entre l’église officielle et le siècle, cette situation épineuse qui est un des plus curieux côtés de cette carrière, dont il ne triompha que par sa droite sincérité, et que ses lettres éclairent à demi aujourd’hui. Lorsqu’après la campagne de l’Avenir,