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sur des colonnes, avec des bas-reliefs d’une grande beauté et une ampleur tout à fait superbe. Je l’ai transportée par la pensée à Notre-Dame. Ces choses-là ne sont pas indifférentes à l’éloquence, il s’en faut. J’ai appris en chemin un mot de Cicéron qui m’a fait plaisir : non est magnus orator sine multitudine audiente. » Lacordaire a été cet orateur tenant des multitudes captives, à Paris, à Bordeaux, à Metz, à Nancy, partout où il a passé. Un coup de la grâce tombant sur sa jeunesse, comme il le dit, avait fait de lui un prêtre sous la restauration ; le coup de foudre d’une révolution le transforme en polémiste d’une démocratie religieuse et libérale; un mot de Rome, en brisant sa plume, en le rejetant un moment dans l’obscurité, fit de lui cet orateur qui s’essayait d’abord dans une petite chapelle du collège Stanislas, qui échouait un instant à Saint-Roch, pour se relever bientôt dans cette chaire de Notre-Dame, sur laquelle est resté le reflet de sa parole, et où nul ne l’a éclipsé.

A quoi donc a tenu le succès de Lacordaire? Au talent sans doute, à cette éloquence qui par ses défauts mêmes, par ses exubérances et ses hardiesses, était faite pour étonner et pour séduire ; mais il y avait une autre raison qui tenait à la nature du mouvement religieux contemporain, au caractère de l’homme qui en a été un des promoteurs : c’est que dans la chaire comme dans le journal, sous la simple robe noire du prêtre comme plus tard sous le froc blanc du dominicain, et même quand il semblait revenir vers le passé, Lacordaire a toujours été au fond un homme des temps nouveaux. Il connaissait par expérience cette vie publique et civile d’où il était sorti sans la maudire, dont il n’avait abdiqué ni les sentimens ni les devoirs. Sa parole jaillissait d’une âme émue des anxiétés, des aspirations de notre âge. Il aimait son siècle, il aimait sa patrie et la liberté. « J’ose dire, écrit-il un jour, que j’ai reçu de Dieu la grâce d’entendre ce siècle que j’ai tant aimé et de donner à la vérité une couleur qui aille à un assez grand nombre d’esprits. » C’était là effectivement le secret de sa puissance. Il n’avait pas, cela est bien certain, une méthode d’une correction sévère, une grande rigueur de logique et de principes dans ses démonstrations : il n’avait pas une science étendue et une infaillible sûreté de jugement; mais, prenant l’imagination et le sentiment pour complices de la foi, il renouvelait ce cadre de l’éloquence chrétienne, et il y faisait entrer tout ce qui peut intéresser et remuer, l’histoire, l’étude morale, la psychologie, le souvenir des catastrophes publiques, le cri des peuples, l’angoisse des âmes. S’il rencontrait sur son chemin quelque revers de la France, on sentait qu’il en était lui-même ému, qu’il n’en parlait qu’avec une dignité fière, et même, quand il publiait sa Vie de saint