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330,000 fermiers possédant de temps immémorial de petites fermes de 3 à 30 morgens (de 1 hectare 80 ares à 18 hectares) ; sur ce nombre, 185,000 environ étaient déjà en possession de contrats écrits et ne payaient qu’un cens fixe en argent; les l45,000 autres devaient par semaine deux ou trois journées de travail, ou s’acquittaient par des redevances en nature. La Société agricole proposa de substituer partout un cens en argent au travail obligatoire et de créer une institution de crédit ayant pour but de racheter le cens. Le paysan serait devenu propriétaire de sa ferme à l’instant même, à la condition de payer à l’institution de crédit pendant 28 ans le même cens qu’il payait à son propriétaire; ce terme passé, il n’aurait plus rien dû. De son côté, l’institution aurait désintéressé le propriétaire en lui remettant des lettres de gage rapportant 4 pour 100 d’intérêt et remboursables en 28 ans par voie d’amortissement. Ces combinaisons, émanant de la volonté spontanée des propriétaires, prennent par ce seul fait un caractère inattaquable; nous devons croire qu’elles répondaient à un besoin social. Considérées en elles-mêmes, elles nous paraîtraient plutôt excessives, et le système des conventions libres nous aurait semblé préférable, soit au point de vue de l’intérêt agricole, soit au point de vue du droit de propriété.

Quoi qu’il en soit, la Société agricole fut dissoute en 1861 par le gouvernement russe, et son illustre président exilé. Sous l’administration du marquis Wielopolski, un nouvel ukase fut rendu, abolissant la prestation en travail partout où elle existait encore et la remplaçant par une redevance pécuniaire. Le gouvernement russe s’appropriait ainsi la première partie du programme de la Société agricole; il n’acceptait pas la seconde, celle qui concernait le rachat du cens. L’insurrection éclata bientôt après, tentative héroïque, mais désespérée, inutile suicide de toute une génération, car il n’était que trop facile de prévoir ce qui est arrivé. Tout appel à la force est un appel à la barbarie, c’est la barbarie qui a répondu. En prenant les armes, quoique odieusement provoqués, les Polonais ont attiré sur eux les déportations et les massacres. Ce n’est pas tout; ils ont été eux-mêmes au-devant de l’expropriation. Le comité occulte qui a pris le titre de gouvernement national a lancé un décret, le 22 janvier 1863, déclarant tous les fermiers propriétaires de leurs fermes, les libérant de toute obligation de rachat et promettant que les propriétaires actuels seraient indemnisés par le trésor de l’état après le rétablissement de l’indépendance. C’est sur cet acte révolutionnaire que le gouvernement russe a voulu renchérir par les ukases du 2 mars 1864.

Ces ukases sont au nombre de quatre. Le premier débute ainsi : « Les terres dont les paysans ont non-seulement l’usufruit rentrent