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Pendant la révolution de 1831, la diète nationale discuta plusieurs projets relatifs à la question des paysans; mais le temps n’était pas propice aux réformes de ce genre. L’insurrection vaincue, un des premiers actes du gouvernement russe fut un rescrit menaçant de peines sévères les paysans qui tenteraient de se soustraire à la corvée. L’empereur Nicolas espérait alors se rattacher les grands propriétaires polonais en se montrant le défenseur de leurs intérêts. Telle fut sa politique jusqu’en 1846. Pendant ces quinze ans du despotisme le plus absolu, il ne fit rien pour les paysans et maintint rigoureusement le statu quo. Il n’abolit la corvée que dans les domaines de l’état et dans ceux provenant des confiscations, qu’il avait attribués aux généraux russes et érigés en majorats. En 1846, à la suite de l’insurrection de Galicie, il changea de politique. Il publia un ukase où il défendait aux propriétaires d’évincer les paysans qui occupaient des terrains d’une contenance de plus de 3 morgens (1 hect. 80 ares), et de réunir à leur domaine propre les parcelles devenues vacantes. Dans les années qui suivirent, rien n’eût été plus facile qu’un concert entre le gouvernement et les propriétaires pour résoudre la question, si on l’avait sincèrement voulu; mais l’administration russe aimait mieux tenir tout en suspens, laissant entrevoir aux paysans des espérances vagues et illimitées.

En 1858, l’empereur Alexandre II, s’étant décidé à procéder à l’émancipation des serfs russes, voulut faire aussi quelque chose pour les paysans polonais. Il rendit un ukase sur l’accensement volontaire, c’est-à-dire sur la transformation de la corvée en rente fixe; tout y était laissé à l’initiative personnelle et à l’entente libre des deux parties. C’est sans comparaison la meilleure loi rendue sur cette matière; elle témoigne des bonnes intentions de ce prince, qu’on entraîne aujourd’hui à des mesures violentes et coupables. Vers le même temps, le gouvernement russe permettait la fondation de la Société agricole. Cette société, présidée par M. le comte André Zamoyski, compta bientôt plus de 4,000 membres, presque tous propriétaires fonciers, car il s’y trouvait aussi de grands fermiers, des banquiers, de grands industriels. Elle favorisa de toutes ses forces l’œuvre de l’accensement. En somme, de 1825 à 1860, les paysans sont devenus censitaires dans les biens de la plupart des grands propriétaires; la prestation en travail ne s’est maintenue que chez les propriétaires du second et du troisième ordre et dans les parties les moins peuplées du territoire.

D’après des renseignemens que nous avons tout lieu de croire exacts, voici quelle était, au commencement de 1861, la condition des paysans dans le royaume de Pologne. Il y avait en tout, tant dans les domaines de l’état que dans les propriétés patrimoniales,