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l’exercice de son pouvoir. Nous sommes toujours à ses yeux des barbares, et par conviction non moins que par patriotisme tous ses efforts tendront à paralyser notre action; sa politique, d’abord latente, puis ouverte au fur et à mesure qu’il nous verra plus affaiblis, aura pour but de nous contraindre à quitter définitivement ses états.

Les Annamites sont rusés, et s’ils ont chance de nous dégoûter de notre position sur leur territoire, ils se dispenseront de recourir aux moyens violens. Ils comprendront que le plan nouveau, pour donner les bénéfices attendus, doit avoir pour conséquence la réduction de l’effectif de nos troupes, le rappel en France d’une grande partie de notre personnel administratif, le renvoi d’une portion importante de notre matériel militaire, la cessation des travaux de défense que nous y avons commencés. Tu-duc, après la signature du nouveau traité, observera une attitude amicale et pacifique pour laisser à ces faits le temps de s’accomplir, puis il démasquera son hostilité, nous cernera dans les petits postes que nous aurons conservés, et nous y attaquera, s’il n’est pas certain de nous y voir mourir dans l’impuissance.

On doit certainement attacher quelque importance à la rentrée immédiate d’une somme de 15 millions et au paiement d’un tribut annuel de 2 millions de francs. Est-on bien sûr cependant que cette indemnité nous soit payée? N’est-il pas plus probable que notre débiteur s’efforcera de trouver des prétextes pour échapper à ses engagemens? Tantôt il arguera du déficit des récoltes qui aura empêché le recouvrement de l’impôt, tantôt d’une guerre avec un voisin qui aura absorbé ses ressources, enfin des rapines des pirates qui auront ruiné ses finances. Ces cas de force majeure ne lui manqueront pas pour implorer notre longanimité, et nous serons placés dans l’alternative d’accepter ses raisons dilatoires sans y croire, ou d’aller les armes à la main faire respecter notre titre de créance.

Conserver Saigon pour en faire un simple comptoir, n’est-ce pas encore une illusion? Pour que Saigon ait les destinées qu’on a pu lui assigner à une autre époque, il faut que cette ville soit aussi libre dans ses rapports avec l’intérieur que libre dans ses rapports avec l’extérieur. Que lui servirait d’avoir la faculté d’exporter, si elle n’a pas celle d’acheter et de recueillir dans son entrepôt les récoltes des provinces, si elle ne peut échanger avec les produits locaux les marchandises et les objets manufacturés qui lui viendront du dehors? Or avec la nouvelle combinaison, Tu-duc sera maître de laisser à Saigon ou de lui retirer ces deux moyens d’existence; notre commerce sera en quelque sorte à sa discrétion et dépendra de sa bonne volonté. Rien ne lui sera plus facile que de nous prouver que ce comptoir est stérile en résultats et ruineux pour nos finances.