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ont des mœurs et des intérêts si différens des nôtres. Cette partie si difficile et si délicate de notre tâche nous serait épargnée. Il ne nous resterait que la partie lucrative ; nous n’aurions qu’à recueillir les avantages que peuvent offrir à notre commerce et à notre marine les conditions doublement favorables que présente la Cochinchine. Tout d’abord nous recevrions du gouvernement annamite une somme qui diminuerait les dépenses que nous avons déjà faites, et ce serait une première satisfaction donnée à ceux qui supputent le chiffre des frais de notre entreprise.

Mais il faut voir les inconvéniens de cette combinaison que nous signalent les correspondances de Saigon. Que peut être le protectorat de la France sur une contrée qui rentrera sous l’administration du roi d’Annam, sous une administration si fortement organisée, qui lie tous les sujets à la pensée du souverain, et les met en mouvement comme un mécanisme d’une seule pièce? Avec les deux postes que nous conserverons, serons-nous en mesure d’exercer la moindre influence sur les villes et les campagnes replacées sous la domination de leurs anciens mandarins? Nous serons comme campés dans un pays qui ne sera plus à nous. Ou nous serons obligés, pour éviter les conflits, de demeurer passifs devant le gouvernement de Hué exerçant ses droits de souveraineté, quelles que soient la nature et la portée de ses actes, ou nous serons amenés à les discuter, à les contrôler, à les limiter, sous le prétexte vague du protectorat qui nous aura été accordé. Dans le premier cas, nous sommes exposés à couvrir du nom de la France des mesures qui peuvent répugner à nos idées, à notre esprit de justice, être manifestement hostiles à nos intérêts; dans le second, nous sommes conduits à la nécessité de protester, lorsque, désarmés de nos propres mains, nous serons hors d’état de nous faire écouter et encore moins de nous faire craindre.

Si Tu-duc cherche avec tant d’opiniâtreté à recouvrer les provinces qu’il nous avait cédées, peut-on croire que ce soit avec l’intention loyale de les administrer selon nos vues? Ce serait bien mal connaître l’esprit de la cour de Hué. Cette revendication lui est inpirée par deux mobiles : le premier, la crainte de voir l’intérieur du royaume livré à la famine par l’exportation du riz qu’il puisait dans le territoire de la Basse-Cochinchine; le second, de retrouver les plus belles recettes de son trésor, qui aujourd’hui sont absorbées par les besoins de notre administration. Si donc Tu-duc reprend son ancienne autorité, ce sera pour faire refluer les produits des provinces vers l’intérieur des terres, pour empêcher, comme il l’a fait sous l’empire de ses préjugés, l’écoulement de ces produits au dehors et pressurer le pays par des impôts d’autant plus lourds qu’il aura pour prétexte le besoin de satisfaire à ses engagemens pécuniaires vis-à-vis de nous. Il ne mettra aucune réserve dans