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son intelligence est convaincu qu’il aura tous les biens qui lui manquent le jour où il possédera un lopin de terre. C’est ce qu’ont de notre temps compris deux puissances qui peuvent servir de modèles dans les entreprises de colonisation : nous voulons parler de la Hollande et des États-Unis. A l’origine de l’établissement de Java, tout Hollandais offrant des garanties de moralité et voulant consacrer à la colonie naissante son travail et son industrie recevait du gouvernement non-seulement une concession de terre pour vingt ans, mais encore des avances considérables qui le mettaient en position d’entreprendre des cultures sans capital à lui. En Californie, tout citoyen américain, tout étranger naturalisé ou ayant demandé à l’être avait droit à l’occupation d’un certain nombre d’acres de terre fixé par la loi ; il pouvait aussi défricher pour son compte les forêts qui appartenaient à l’état[1].

Nous avons manqué, en adoptant un autre procédé, l’occasion d’appeler dans la Cochinchine des travailleurs qui lui auraient été plus utiles que les fonds produits par l’aliénation des terres. Quoique les prix de ces ventes aient été peu élevés, la gratuité n’était pas de trop pour secouer l’apathie française et vaincre sa répugnance à l’expatriation. Que notre administration ne l’oublie pas : si elle a l’ambition de créer quelque chose de grand en Cochinchine, elle doit s’inspirer des principes les plus libéraux. Il faut qu’elle admette dans les ports de notre nouvelle possession les pavillons étrangers affranchis de tous droits, qu’elle reçoive les travailleurs et les capitaux de quelque pays qu’ils viennent, qu’elle accorde à tous des terres sans distinction de nationalité, qu’elle voie dans tous ceux qui arrivent des auxiliaires précieux, et ne conteste à aucun le droit de coopérer à son œuvre. C’est à la franchise de leurs ports que Singapore et Aden doivent d’être devenus en peu d’années, l’un l’entrepôt du commerce de l’Indo-Chine, l’autre de la Mer-Rouge, et d’être le point central auquel aboutissent et d’où partent les flottes marchandes qui sillonnent ces mers.

Appliqué à Saïgon, ce régime de liberté produira les mêmes effets. Située à l’embouchure de deux fleuves, le Donnaï et le Cambodge, qui lui portent les produits de l’intérieur, placée à quinze lieues de la mer, qui ouvre un champ illimité à ses exportations, Saïgon est appelée à servir d’intermédiaire à un courant commercial immense et à disputer à Singapore la suprématie dans l’extrême Orient. Les Anglais, les Américains, les Hollandais et les Espagnols y accourront, portant avec eux l’activité et l’habileté de leur nation, et nous aideront à faire du chef-lieu de notre possession le marché principal de cette portion centrale et occidentale de la

  1. Voyez la Californie en 1860 dans la Revue des Deux Mondes du 1er avril 1861.