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des documens exhumés par M. de Weber du fond des archives de Saxe.

Voilà donc Maurice sous-officier à douze ans sous le comte de Schulenbourg, et contre qui va-t-il déployer sa précoce ardeur ? Contre ces soldats de la France qu’il mènera un jour à la victoire. C’était le moment où Louis XIV payait si cher son orgueil envers l’Europe et l’imprudent dédain qu’il avait témoigné naguère au fils de la comtesse de Soissons. Le prince Eugène tenait en échec la fortune du grand roi. L’heure sombre où nous étions si menacés est celle-là même où le jeune Maurice s’accoutuma gaîment aux premières émotions de la guerre. Il prit part au siège de Tournay, au siège de Mons, à la bataille de Malplaquet, non pas qu’il ait accompli tous les hauts faits et prononcé toutes les paroles que lui attribuent ses biographes : l’imagination s’est donné carrière en voyant cet enfant sous le harnais, à côté des Eugène et des Schulenbourg. Celui-ci nous le montre, au passage de l’Escaut, traversant le fleuve le premier et cassant la tête d’un coup de pistolet à un soldat français qui lui barre la route ; celui-là veut qu’au siège de Mons il ait rempli des fonctions actives à la tête de l’état-major ; un autre affirme qu’à Malplaquet, après avoir vaillamment payé de sa personne, il s’écria le soir de la bataille : « Je suis content de ma journée. » Il est impossible assurément qu’il n’y ait pas quelque chose de vrai dans ces traditions répétées de bouche en bouche : Maurice était brave, intrépide, impatient de se faire sa place dans le monde, et ses compagnons d’armes avaient gardé le souvenir de cette héroïque impatience ; mais si l’impression générale est exacte, les détails ne le sont pas toujours. Le comte de Schulenbourg avait promis à la comtesse de Kœnigsmark de veiller sur son fils. Il suffisait d’exciter ou d’entretenir son ardeur, sans l’exposer inutilement. À Malplaquet par exemple, il est certain qu’on ne l’a pas vu s’essuyer le front, s’applaudir de la victoire comme si elle était son œuvre, et s’écrier d’un ton théâtral : « Je suis content de ma journée, » car Schulenbourg l’avait placé ce jour-là dans le corps de réserve, et l’impétueux enfant n’assista que de loin aux péripéties de la bataille. L’impatience du jeune soldat sous la main paternelle de Schulenbourg n’est-elle pas à la fois plus vraisemblable et plus touchante que les rodomontades des panégyristes ?

Quand on vient de lire dans les mémoires du maréchal cette page naïve qui nous représente si bien ses débuts, quand on a pris une exacte idée de son rôle auprès du prince Eugène grâce aux documens révélés par M. de Weber, c’est vraiment un curieux contraste que de faire apparaître les rhéteurs académiques et leurs éloges officiels. Donnons-nous ce plaisir un instant. Or voici ce que Thomas écrivait dans cet Eloge de Maurice, comte de Saxe, qui remporta le