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Nous ne trouvâmes pas aux approches de Saigon les auxiliaires qu’on nous avait promis. La portion du peuple qui a embrassé le christianisme se compose de gens misérables, sans énergie et sans influence, engourdis dans leur abjection, et qui tremblent devant les mandarins. Quant aux Annamites non convertis, ils forment la grande majorité de la population; ils sont liés entre eux par les anneaux d’une forte hiérarchie qui, de degré en degré, anime de la même pensée et entraîne dans le même mouvement depuis le plus humble jusqu’au souverain. Attachés à leurs usages, façonnés à une discipline rigoureuse, rompus à une aveugle soumission, élevés dès leur enfance à considérer les Européens comme des barbares, ils se montrèrent tout d’abord hostiles et décidés à ne voir en nous que des envahisseurs.

Saigon était défendue par deux forts et une citadelle formidable, construite à la fin du siècle dernier par les Français qui avaient accompagné l’évêque d’Adras. Les rives du fleuve qui conduit à cette ville étaient garnies de forts et d’estacades reliées par des barres de fer et armées de batteries. L’amiral n’hésita point à attaquer tous ces obstacles échelonnés, et sous son vigoureux commandement nos soldats, malgré une vive résistance, les eurent bientôt brisés. Cet événement s’accomplit sans causer la moindre émotion au gouvernement annamite. Son armée se replia et se concentra à 4 kilomètres de Saigon, à Ki-hoa, dans une attitude qui prouvait que ses pertes ne l’avaient pas découragée. En même temps, du côté de Tourane, les troupes de Tu-duc faisaient un mouvement offensif et exécutaient à l’embouchure de la rivière, au sud de la baie, une série de travaux d’approche pour prévenir toute tentative de nos troupes contre cette position. L’amiral eut donc à livrer de nouveaux combats dans la province de Saïgon et devant Tourane pour forcer les Cochinchinois à battre définitivement en retraite sur leur capitale. Encore une fois cependant nous dûmes abandonner Tourane, une partie de nos forces ayant été rappelées à notre station de Chine pour exécuter la seconde campagne qui mena nos armes victorieuses à Pékin. Nous restâmes à Saïgon avec sept cents hommes.

Pendant deux ans, c’est-à-dire jusqu’à la conclusion de la paix avec le Céleste-Empire, cette poignée de Français tint en échec l’armée annamite, qui s’efforçait de l’enfermer dans la ville et de couper toutes les communications. Le contre-amiral Page, sur ces entrefaites, arriva de France pour succéder dans le commandement à l’amiral Rigault de Genouilly. Il connaissait la pensée du gouvernement français. Il ne s’agissait point de conquête alors, on ne voulait point fonder en Cochinchine un grand établissement. Quoi qu’on ait prétendu depuis, les instructions données à cet officier-général étaient plus modestes. Elles lui permettaient de proposer à