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traité de cession du sultan de Soulou ; mais aussitôt le gouverneur des Philippines avait protesté contre cet acte en invoquant de prétendus droits de souveraineté de l’Espagne, et le cabinet de Madrid l’avait vivement appuyé. M. Guizot, occupé de la négociation si difficile et si délicate des mariages espagnols, crut bon de subordonner la petite politique à la grande, et se résigna pour le moment à laisser tomber ce sujet de contestation.

Telles sont les deux explications qu’on donne de nos premières opérations en Cochinchine. Sans se prononcer encore pour l’une ou pour l’autre, il est permis de croire, si l’on tient compte des actes de l’amiral Rigault de Genouilly, que tout d’abord nos visées n’étaient pas très ambitieuses. L’amiral dirige les forces qu’il commande sur la baie de Tourane, s’en empare, détruit les deux forts qui la défendent, et se rend maître de la presqu’île de Champ-Callao. Son intention est d’agir sur Hué, capitale de la Cochinchine, située à quinze lieues de Tourane et à six lieues de la mer, et à laquelle on arrive par une rivière obstruée de bancs de sable. Le brave amiral avait espéré conduire ses canonnières au moyen de cette rivière devant Hué, et contraindre le roi Tu-duc, sous le feu de ses canons, à traiter avec lui; mais la mousson du nord-est rendait cette opération hasardeuse, et une expédition par terre, avec le peu de soldats dont il disposait, n’était pas praticable. Bientôt il dut former un autre projet. Il était entouré de missionnaires européens qui, malgré un long séjour dans le pays, avaient sur l’esprit des habitans les plus étranges illusions. Ils lui disaient, avec une confiance qu’ils voulaient lui faire partager, que le peuple annamite était tellement fatigué du joug qui pesait sur lui qu’à notre apparition il se soulèverait et nous recevrait en libérateurs. Les combats que nous avions été obligés de livrer à Tourane ne devaient pas donner de crédit à ce langage; mais on assurait à l’amiral que, sur un autre point de la côte, nous rencontrerions un tout autre accueil. La population chrétienne répandue autour de Saïgon et dont nous aurions l’appui, la salubrité relative de la Basse-Cochinchine, les nombreux cours d’eau qui la sillonnent dans tous les sens favorables aux opérations militaires, la facilité que nous y trouverions d’affamer la capitale en interceptant les approvisionnemens de riz qu’elle tire de cette partie du royaume, enfin cette circonstance que la mousson de nord-est, contraire pour aller de Tourane à Hué, serait propice pour se rendre à Saïgon, ces diverses considérations déterminèrent l’amiral Rigault de Genouilly à abandonner Tourane et à se diriger vers la Basse-Cochinchine[1]. Notre expédition ne suivait donc pas un plan arrêté à l’avance; elle subissait l’influence des événemens.

  1. Tourane fut évacué le 7 février 1859.