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gendarmes comme les frontières des états d’Europe. Afin de conjurer ce malheur, le peuple américain, représenté par le congrès et par les diverses législatures, confère au président des pouvoirs exceptionnels; il lui offre les immenses ressources que procurent un budget annuel de plusieurs milliards, une armée de plusieurs centaines de milliers d’hommes, une flotte de cinq cents navires. Entre des mains iniques, ce serait là une formidable puissance; même confiée à un homme honnête comme l’est le président Lincoln, elle pourrait devenir très dangereuse pour les libertés de la république en permettant à l’administration d’user de la force brutale. Heureusement l’armée, composée en grande majorité de soldats volontaires, ne s’est point séparée de la masse du peuple, et celui-ci de son côté n’a cessé de se rendre utile aux soldats et de leur témoigner sa sollicitude par l’entremise de la commission sanitaire. Les citoyens qui considèrent comme leur devoir de contrôler la gestion du gouvernement dans l’économie des armées, de le remplacer au besoin pour soigner les blessés, de faire la police des camps, de plaider contre lui pour l’obliger à rendre justice au soldat lésé dans ses droits, ne sont pas hommes à laisser attenter à leurs libertés par le pouvoir. En se faisant aimer par les volontaires comme les vrais représentans de la nation, en se constituant leurs défenseurs, ils rendent impossibles ces révolutions de prétoriens qui exercent une influence tellement fatale à la prospérité de quelques républiques hispano-américaines. L’initiative personnelle, même appliquée à consolider les forces nationales, tel est le remède souverain contre la prépondérance de l’élément militaire. Que le citoyen, tout en venant au secours de la constitution menacée par les rebelles, reste debout devant l’état, et avec lui se maintiendra la liberté.


ELISEE RECLUS.