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mais, ce qui vaut mieux, nos romans et nos comédies, et quoique nous ne soyons plus aussi riches qu’autrefois, nous n’avons pas perdu le privilège que nous avions de la fournir de littérature.

Ainsi, grâce à la diffusion de notre éducation classique, la littérature a chez nous un public : c’est un grand avantage; mais, pour la même raison, la science n’en a pas. Dans les pays où l’on n’enseigne le grec et le latin qu’à peu de personnes, il est naturel qu’on leur en fasse apprendre davantage. Lorsqu’on distribue, comme chez nous, l’instruction classique à tout le monde, on est bien forcé de la donner à moins forte dose. Les connaissances qu’on acquiert de cette façon sont toujours un peu sommaires. Une fois qu’on a pris des littératures antiques ce qu’un commerce rapide avec elles peut donner d’élégance et de finesse à l’esprit, on se tient pour satisfait. Il est bien rare que nos jeunes gens aient la fantaisie ou la patience de pousser plus loin ces études. Aussi nos facultés de province, destinées à aider ceux qui souhaitent avoir un enseignement plus profond, ont-elles en général peu réussi malgré les sacrifices qu’on a faits pour elles. Tout le talent des excellens professeurs qu’on y envoie s’use à retenir auprès d’une chaire déserte quelques désœuvrés toujours disposés à s’enfuir. Il en est bien autrement dans les universités allemandes. Comme ceux-là seuls s’y rendent qui éprouvent un attrait véritable pour la science ou qui en feront un jour leur profession, les études les plus arides ne rebutent personne, et tous les cours faits sérieusement sont certains d’avoir des auditeurs. L’an dernier, le docteur Ritschl, la gloire de l’université de Bonn, enseignait la grammaire latine avec tant de détail qu’à la fin du premier semestre il en était encore à l’alphabet, et aucun des deux cents auditeurs qui entourent sa chaire n’a songé à s’en plaindre. C’est là que se forme le public savant de l’Allemagne. Plus tard, lorsque ces jeunes gens ont quitté l’université, lorsqu’ils se sont séparés pour devenir avocats ou médecins, professeurs de gymnases ou pasteurs de petite ville, ils continuent à s’intéresser aux sciences qu’ils ont étudiées pendant leur jeunesse. Ils lisent, suivant leur spécialité, les Annales de Tübingue ou le Musée du Rhin qui les tiennent au courant de tous les progrès qu’elles font. C’est un public restreint, mais curieux et intelligent, devant lequel sont posées et débattues toutes les questions scientifiques. Il est assez important pour que son suffrage vaille la peine d’être conquis et qu’il puisse donner à ceux qui le méritent une sorte de réputation; il est assez exercé pour qu’on puisse aborder sans crainte devant lui les sujets les plus difficiles et les moins populaires. Quelque obscure que soit l’étude à laquelle vous les conviez, il se trouvera toujours parmi eux des personnes qui vous suivront avec courage. Ils ne vous de-