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surtout demeuré un savant, alors même qu’il devenait par occasion un littérateur. La popularité a bien des douceurs, et d’ordinaire elle dégoûte un peu de ces travaux sérieux qui sont condamnés à rester dans l’ombre. M. Mommsen a su pourtant lui résister; il s’est dérobé lui-même à ses succès. Au lieu de continuer cette histoire romaine qui lui promettait tant d’applaudissemens, il est revenu sans hésitation à ses travaux épigraphiques dès que l’académie de Berlin a fait appel à sa science, et il a bravement pris pour lui le fardeau le plus lourd. Il avait été convenu qu’avant d’entreprendre le classement des inscriptions par provinces, on réunirait et on publierait ensemble toutes celles qui étaient antérieures à Auguste. C’est M. Mommsen qui s’était chargé de ce travail : seulement M. Ritschl devait y joindre un volume de planches où celles de ces inscriptions qui existent encore seraient reproduites en fac-similé et donner sur toutes un commentaire philologique et grammatical; mais M. Ritschl travaille à son aise, il n’a point l’ardeur et la fougue qui animent M. Mommsen, et jusqu’à présent le volume de planches seul a paru ; on attend encore le commentaire promis. C’est sans doute un retard fâcheux, que M. Mommsen a peut-être reproché un peu trop amèrement à son collaborateur : lui du moins était prêt à l’époque fixée, et il a pu l’an dernier donner au public le premier volume du recueil des inscriptions latines[1].

Ce volume contient toutes les inscriptions que l’on connaît de la république. Ce qu’il a de curieux, c’est qu’il nous fait remonter aux origines mêmes de la langue et de la société romaines, et par là il a pour nous un intérêt particulier et répond à nos préférences. Aujourd’hui nous aimons en toute chose le primitif. Les peuples nous plaisent surtout quand nous les étudions dans leur jeunesse, parce que leur génie naturel s’y développe en liberté sans être gêné par des convenances étroites ou altéré par les influences étrangères. Nous trouvons aux langues naissantes les grâces de l’enfance, et nous pardonnons aux vieux écrivains leur rudesse en faveur de leur originalité. Ce goût est nouveau. Nos pères au contraire se plaisaient uniquement au spectacle d’une civilisation polie, et ils s’occupaient de préférence des temps où domine une culture savante; le reste leur semblait barbare. Quand ils étudiaient l’histoire, ils passaient les origines ou les dénaturaient. Cette disposition était aussi à peu près celle des Romains du siècle d’Auguste. Quoiqu’on parlât souvent alors, et avec un grand respect, de ce que Florus appelle la virile jeunesse de Rome, on n’en parlait pas toujours avec une grande intelligence. Les poètes seuls semblent avoir par momens deviné et reproduit le vrai caractère du passé. Virgile

  1. Corpus inscriptionum latinarum, vol. I, Berlin, G. Reimer.