Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étaient chargés, M. Ritschl, l’éminent philologue de Bonn, M. Henzen, le continuateur d’Orelli, et surtout M. Mommsen. Il n’y a peut-être pas aujourd’hui en Allemagne de nom plus populaire que celui de M. Mommsen. Il n’y a pas non plus de figure plus curieuse et de personnage plus complexe. Sa science est immense; l’étude spéciale qu’il a faite des inscriptions et des médailles ne l’a pas empêché d’apprendre le droit romain. Il a éclairci les problèmes les plus obscurs de la chronologie et pénétré plus profondément que personne dans la connaissance des vieux dialectes italiques; il a publié à la fois des éditions estimables d’auteurs anciens, de savans travaux de jurisprudence, des traités de numismatique et des dissertations d’épigraphie. On ne sait pas, en vérité, s’il y a quelque recoin de l’histoire ou de l’archéologie antique que n’ait exploré et fouillé cette curiosité insatiable. Chez lui, la science se recommande par le caractère aussi bien que par l’étendue. Quoi qu’il entreprenne, il ne fait jamais rien froidement : il s’anime, il s’échauffe, et quelquefois il s’emporte à propos des sujets qui semblent le plus faits pour calmer l’esprit. Il prend tellement à cœur toutes les questions qu’il étudie, qu’on lui reproche de n’y pouvoir pas souffrir d’opposition. Ses adversaires, dit-on, deviennent vite ses ennemis, et il ne fait pas toujours bon de le contredire. Ce qui explique cette passion qu’il porte dans ses travaux, c’est qu’il est surtout frappé par le côté moderne des choses anciennes; l’antiquité n’est pas pour lui quelque chose de mort, et il voit toujours le passé à travers le présent qui le lui fait comprendre. Est-il possible de demander à un homme comme lui d’être indifférent, quand il retrouve, même à deux mille ans de distance, des-hommes et des choses qu’il ne peut pas souffrir? De là quelques défauts sans doute, mais aussi de grandes qualités. A quelque mince objet qu’il l’applique, sa science, animée par la passion, a toujours un air vivant. Elle est plus pénétrante et plus nette, moins embarrassée dans sa marche, moins encombrée de vétilles qu’elle ne l’est d’ordinaire en son pays, et l’on peut dire que, quoiqu’il aime peu la France et ne s’en cache pas, il n’en est pas moins l’un des plus français parmi les savans de l’Allemagne. Toutes ces qualités, qui se faisaient jour chez lui même dans les travaux les plus érudits, il les a dégagées et mises à l’aise, quand, après avoir passé vingt ans de sa vie dans la science pure, il a subitement changé de public et de méthode en publiant sa belle Histoire romaine. Ce livre, qui a été accueilli avec tant de succès dans presque toute l’Europe, tout en faisant pénétrer le nom de l’auteur au-delà du petit monde des érudits, montre aux plus incrédules tout ce que l’archéologie bien étudiée peut donner à l’histoire qui la consulte.

Ce n’est pas une des moindres originalités de M. Mommsen d’être