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pierres semblent prendre une sorte de vie pour nous. Elles ne contiennent plus, comme on l’avait pensé, une suite arbitraire de titres et de dignités que le graveur a groupés selon sa fantaisie : c’est le tableau exact et régulier de la vie politique d’un Romain, et en comparant ces inscriptions ensemble, en les rectifiant, en les complétant l’une par l’autre et par le témoignage des historiens, on doit arriver infailliblement à tracer les lois de la hiérarchie administrative et militaire des Romains, C’est ce qu’a fait Borghesi, et le résultat de son travail a été double : si les inscriptions lui ont permis de retrouver tous les degrés de la hiérarchie romaine, à son tour la hiérarchie mieux connue lui a fait mieux comprendre les inscriptions et expliquer tous les sigles qu’elles contiennent. En effet, du moment qu’on a la liste exacte de toutes les fonctions à chaque époque et l’ordre dans lequel elles se succèdent, il est évident qu’il suffit de connaître les dignités qui précèdent ou qui suivent un sigle douteux pour qu’il prenne aussitôt une signification précise. Cette méthode, qui nous donne confiance dans les inscriptions par la certitude où nous sommes de les bien interpréter, Borghesi ne l’a pas seulement appliquée à celles qui sont entières et dont la lecture est par conséquent plus facile, il s’en est surtout servi avec bonheur pour restituer celles qui sont frustes et incomplètes. On comprend qu’avec le nom seul d’une dignité, qu’on peut y déchiffrer avec certitude, il devienne facile de suppléer les autres à qui connaît bien la hiérarchie des fonctions romaines, et qu’on puisse ainsi rendre compte rigoureusement des fragmens de mots ou même des lettres isolées qu’autrefois on cherchait à deviner bien plus qu’on ne les expliquait. Voilà donc une immense quantité de matériaux nouveaux, indubitables, que l’épigraphie fournit à l’histoire, et non content de les avoir amassés pour elle, Borghesi lui a montré, dans une suite de savans mémoires, comment elle doit s’en servir et ce qu’ils peuvent lui apprendre.

Ce sont ces mémoires, devenus, comme je le disais, introuvables aujourd’hui, qu’il s’agit de publier. Le gouvernement français, répondant aux vœux du monde savant, s’en est généreusement chargé. A peine Borghesi venait-il de mourir qu’une commission fut formée pour recueillir et publier, aux frais de la liste civile, sa correspondance et ses ouvrages[1]. Un membre de notre Institut, M. Léon Renier, fut placé à la tête de l’entreprise. S’inspirant des exemples de Borghesi, uniquement dévoué, comme lui, à la science, et s’oubliant lui-même, M. Renier a consenti à donner à l’édition des œuvres de son maître un temps qu’il pouvait employer plus utilement

  1. Cette commission se compose de MM. Mommsen, Henzen, de Rossi, Noël Desvergers, Ritschl, Cavedoni, Minervini et Rocchi. M. Léon Renier en est le président et M. E. Desjardins le secrétaire.