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l’émotion a été extrême, aussi bien que la surprise. Rien n’est plus curieux que de voir comment des gens qui se croyaient au courant du mouvement littéraire et philosophique parce qu’ils lisaient avec conscience les livres où nous refaisons tous les ans la biographie de Racine ou l’éloge de Descartes, et qui ne savaient rien, ou presque rien, de ce travail original et profond qui s’accomplissait au-delà du Rhin, ont été abasourdis quand on leur en a apporté les résultats. Il a bien fallu reconnaître alors l’importance de toutes ces études dont on se moquait. Ce ne sont point d’inutiles curiosités, comme on le croyait, des sciences vaines et mortes, sans application possible à la vie. Les voilà mêlées à ce qu’il y a de plus vivant au monde, aux questions politiques et religieuses. Elles leur ont fourni des élémens nouveaux, elles ont rafraîchi le fond d’idées sur lequel ces questions vivaient depuis trop longtemps, et du premier coup elles les ont renouvelées, en sorte qu’on peut prévoir aujourd’hui que, dans les crises prochaines de l’humanité, la critique et l’érudition tiendront la place qu’occupait la philosophie dans les révolutions du siècle dernier.


I.

De toutes les branches de l’archéologie ancienne, c’est l’épigraphie qui a été cultivée de nos jours avec le plus d’ardeur et de succès. L’étude des inscriptions, qui ne semblait pas devoir être très populaire, a attiré des hommes distingués et donné naissance à de très importans ouvrages. Il est en effet facile de prouver qu’elle est tout à fait appropriée à l’esprit de notre époque, et nous apprend des temps anciens ce qu’aujourd’hui nous souhaitons le plus en savoir. Assurément les inscriptions ne contiennent pas toute l’histoire du passé, comme quelques-uns semblent le croire ou affectent de le dire, et il faut quitter l’espérance qu’elles rendent jamais inutile Salluste ou Tacite; mais elles nous font savoir des choses que nous ne pouvons apprendre que d’elles, et dont les historiens n’ont pas songé à nous dire un mot. Si l’on veut connaître exactement la nature des services qu’on peut tirer d’elles, il suffit de jeter les yeux sur les premières pages du recueil d’Orelli, qui est une sorte de manuel épigraphique : on y voit tout de suite qu’il ne faut pas se fier aux inscriptions pour apprécier les faits ou pour connaître les hommes; la vérité y est à chaque instant outragée, les bons et les mauvais princes s’y succèdent avec les mêmes titres, ils sont tous invariablement pères de la patrie et nés pour le bien de la république. S’il y a quelque différence entre eux, c’est qu’en général les plus méchans sont aussi les plus loués. Tous ces misérables princes