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donné, la Juive. Si M. Halévy, qui est avant tout une imagination dramatique, était plus difficile dans le choix de ses poèmes, s’il consultait mieux ses propres instincts, il obtiendrait des succès plus fréquens et moins contestés. On le sait, le temps ne fait rien à l’affaire. Lorsqu’on peut écrire une page aussi fortement émue que le cinquième acte de la Magicienne, on n’est pas excusable de surmener sa verve, et de ne pas attendre que la goutte de lumière soit formée au bout de la plume, comme dit le délicat et ingénieux Joubert. »

Tel était M. Halévy à l’époque où il donna la Magicienne, qui n’eut qu’un nombre restreint de représentations. Il y a deux ans à peine que ce grand artiste a quitté la vie, et l’on sent déjà que de trente opéras qu’il a écrits avec une facilité si malheureuse il ne restera que la Juive. Je ne veux pas médire du mérite de l’Éclair, qui renferme beaucoup de morceaux charmans, et où l’on sent la main d’un maître qui connaît les secrets de l’art; mais ce qu’on chercherait vainement dans les trois actes de l’Éclair, c’est de la franche gaîté, des mélodies naturelles, des harmonies moins fouillées, et enfin des modulations plus développées. M. Halévy avait l’imagination triste, et si l’on trouvait parfois dans l’homme un doux rieur, ces qualités disparaissaient sous la plume du compositeur. D’ailleurs il ne faut pas oublier que M. Halévy était Juif, et que la race d’Abraham n’a jamais su rire. Voyez Meyerbeer : il ricanait comme un démon, mais non comme une na- ture humaine. Où donc se cache la gaîté de Mendelssohn? Ce n’est pas dans ses symphonies ni dans ses oratorios, où l’amour même est absent, ni dans ses sonates, ni dans ses concertos, ni surtout dans ses mélodies sans paroles. Avouons-le donc, il n’y a au monde que M. Offenbach qui soit un Juif amusant!

A côté de Lara, dont le succès de mélodrame n’est pas encore épuisé, on a donné un petit acte, Sylvie, qui est le début heureux d’un jeune compositeur qui a remporté le premier prix de l’Institut. On dit que M. Guiraud est fort jeune et qu’il est né à Paris. Quel que soit le lieu de sa naissance, la petite pièce intéressante qu’il a mise en musique le recommande à l’opinion des hommes de goût. Il n’y a que trois personnages dans cette jolie paysannerie, dont les auteurs sont MM. Adenis et Rostain. Les trois personnages sont Jérôme, Germain et Sylvie. Sylvie et Germain sont, je crois, ou neveux du vieillard ou adoptés par lui. Quoi qu’il en soit, il est certain que Sylvie aime Germain et qu’elle est payée de retour. Le vieux Jérôme avait la vue si basse qu’il distinguait à peine la figure des deux amans. Un jour Sylvie lui remit une paire de lunettes, qu’il accepta avec un plaisir d’enfant. A peine eut-il posé sur son nez les lunettes qu’il s’écria en regardant Sylvie : « Mais, mon enfant, tu es charmante, et je ne croyais pas que j’avais auprès de moi un si joli minois! » Voilà donc le bonhomme si amoureux de Sylvie qu’il lui offre sa main. Il lui déclare son amour, et il entend qu’elle renonce à être la femme de Germain. Sylvie fut si fort étonnée de cette déclaration de son parrain qu’elle en avertit Germain.