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seur, curieux des vieilles traditions, avait eu recours aux méthodes du géomètre grec Apollonius pour démontrer par la géométrie pure les propriétés principales des sections coniques ; ses élèves, avancés déjà dans la science, mais habitués à rattacher toutes leurs recherches à la méthode de Descartes, exclusivement suivis jusque-là, furent charmés de l’élégance de ces idées nouvelles à leurs yeux et de la facilité inattendue avec laquelle, disaient-ils, l’application de l’algèbre à la géométrie pouvait se traiter sans algèbre.

Trois hommes supérieurs ont réagi surtout à notre époque contre cette exagération d’une idée grande et féconde et contre l’abandon des procédés les plus fins et les plus brillans de l’esprit humain : M. Poncelet dans son Traité des propriétés projectives et M. Chasles dans ses nombreux et admirables écrits ont gagné, vraisemblablement pour toujours, la cause des méthodes qui les ont conduits si haut, tandis que M. Poinsot, dans une série de mémoires qui resteront d’impérissables modèles d’élégance et de profondeur, montrait que, dans la mécanique, rien ne dispense de considérer les choses en elles-mêmes, sans jamais les perdre de vue dans le cours du raisonnement. L’étude des beaux travaux que je viens de citer serait intéressante et instructive à plus d’un titre ; mais chaque jour voit augmenter le nombre des lecteurs sérieux qui les considèrent à bon droit comme classiques, et celui qui voudrait aujourd’hui chercher à les défendre contre une appréciation inintelligente et injuste arriverait une trentaine d’années trop tard. Les chefs-d’œuvre sont peu à peu, quoi qu’on fasse, acceptés comme ils doivent l’être ; ils ne changent pas toujours les esprits, mais ils s’imposent à leur attention. Nul n’oserait par exemple aujourd’hui contester l’importance et la hauteur des travaux mécaniques de Poinsot : il semble évident déjà que la postérité doit placer l’illustre auteur de la Statique bien au-dessus des contemporains, jadis plus célèbres, qui l’ont si longtemps méconnu. Poisson disait, au sein même, je crois, du Bureau des longitudes : « Si Poinsot se présentait à l’Ecole polytechnique, ma conscience ne me permettrait pas de l’y admettre. » La section de géométrie, en 1813, était moins sévère dans son jugement et consentait à l’inscrire au troisième rang sur la liste des candidats à la succession de Lagrange : l’Académie le nomma et fit bien. Une exposition de l’ensemble de ses travaux et des idées neuves qu’il a apportées dans la science aurait été alors une œuvre utile et méritante ; sans avoir aujourd’hui la même raison d’à-propos, elle offrirait encore un intérêt sérieux.

Les travaux que je veux signaler aujourd’hui sont dus à un esprit fin et délicat dont l’analogie avec celui de Poinsot m’a souvent frappé. Les voies qu’ils suivent sont très différentes : la science de