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est jugée quand on se rappelle qu’entre beaucoup d’atténuations de tarifs le règne de Louis-Philippe a vu réduire dans des proportions considérables les droits sur les fontes et les fers d’Angleterre, les droits sur les houilles d’Angleterre et de Belgique, et que ces réductions ont eu lieu avec le concours d’un parlement où siégeaient en grand nombre les représentans les plus influens de ces grandes industries. Non, la marche des pouvoirs de l’état dans ces questions difficiles s’explique par l’union intime du souverain et des chambres dans une commune pensée, non de privilège, mais de protection envers de grandes industries placées encore à cette époque dans des conditions de luttes trop inégales et envers les nombreux ouvriers qu’elles faisaient vivre en vivant elles-mêmes.

Je ne loue ni ne critique, je raconte simplement, et pour mieux préciser cette politique trop timide peut-être sur quelques points, mais généreuse dans sa source, je reporterai le lecteur au souvenir de plus d’un entretien que j’ai eu l’honneur d’avoir à ce sujet avec le roi Louis-Philippe.

Louis-Philippe était en principe partisan de la liberté commerciale ; il en admirait les résultats en Angleterre, et surtout le parti que la politique anglaise avait su en tirer vis-à-vis des autres nations ; mais il pensait que la question était parvenue, de l’autre côté du détroit, à un degré de maturité qu’elle n’avait pas encore atteint en France, qu’il fallait sans doute marcher vers la réalisation du principe, mais peu à peu, par la discussion, au moyen d’enquêtes approfondies et répétées, en prenant les questions une à une et en les entourant de tous les ménagemens dus à la masse de capitaux et au grand nombre d’existences d’ouvriers engagés dans les entreprises de l’industrie française.

« Il n’y a de vraiment durables et solides, disait-il, que les réformes qui ont pénétré dans les esprits par la discussion avant d’être inscrites dans les lois : les autres peuvent réussir ; mais elles sont plus sujettes que les premières aux réactions exagérées et aux brusques retours de l’opinion publique, surtout chez une nation aussi impressionnable que la nôtre. Voyez, ajoutait-il, ce qui s’est passé en Angleterre au sujet de l’émancipation des catholiques : que d’années écoulées dans la lutte, que de défaites pour acheter la victoire ! mais aussi le jour arrive où le principe triomphe avec le secours même d’une partie de ses anciens adversaires, éclairés par une discussion qui ne se décourage jamais, et ce jour-là l’émancipation des catholiques prend désormais sa place à côté des principes les plus incontestés de la constitution de ce pays éminemment protestant. Dans la question de la liberté commerciale, nous ne nous trouvons pas, Dieu merci, en face des passions politiques et religieuses qui s’agitaient autour des aspirations des catholiques en Angleterre ; mais nous avons affaire à des intérêts considérables constitués avec l’appui des gouvernemens qui nous ont précédés, intérêts qui touchent à la fois à de grandes situations industrielles, forces vives de la France, et au pain quotidien d’une foule d’ouvriers. Soyons donc pilotes prudens sur cette mer pleine d’écueils, et louvoyons