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La mécanique a été renfermée dans une seule formule, mais il est difficile de l’en faire sortir : cette haute vérité, qui contient toutes les autres, ne les montre facilement que lorsqu’on les connaît à l’avance. La raison soumise, avant d’être éclairée, y trouve rarement la vue distincte de chaque résultat particulier, et ce n’est pas par là que ceux qui ne voient pas commenceront à voir. Parce que Lagrange s’est élevé, par un admirable effort de génie, jusqu’à la source de toutes les vérités de la science, n’a-t-on plus qu’à se confier au courant en abandonnant le gouvernail pour se laisser doucement et paisiblement descendre? Ce n’est pas ainsi qu’il le faut entendre. Le fleuve n’est pas navigable, et il n’est pas donné à tous de le parcourir sans rencontrer bien des écueils. En présence de cette formule maîtresse qui contient tout, il reste beaucoup à chercher, et pour la transformer en vérités sensibles, il faut être doué d’un génie spécial qui n’est, à proprement parler, ni celui de la mécanique ni celui de la géométrie.

Lors même que les géomètres, réussissant dans cette grande entreprise, atteindraient le but vers lequel, depuis plus d’un demi-siècle, ils s’avancent incessamment, et qui dépasse peut-être la portée de l’esprit humain, la mécanique ne serait pas absorbée par l’analyse ; les deux sciences, unies d’un lien de plus en plus étroit, n’en resteraient pas moins distinctes et grandiraient l’une par l’autre en se prêtant un mutuel secours. La perfection des méthodes, pas plus là qu’ailleurs, ne pourra jamais suppléer à la puissance du talent, et les grands génies, quoi qu’il arrive, conserveront la possibilité de faire de grandes découvertes.

« Toutes les grandes choses ont leur excès, » a dit un illustre écrivain ; cela est vrai, même dans la science. Quoique l’on ne soit jamais allé jusqu’à rejeter l’étude directe des questions particulières, on s’est trop souvent élevé au-dessus d’elles ; les belles méthodes générales de la mécanique analytique ont été, pendant quelque temps, suivies d’une manière trop exclusive, et en s’attachant à montrer ce que les divers problèmes ont d’identique, on s’est exposé à perdre de vue ce qui les distingue les uns des autres. Les géomètres purs, en embrassant avec une savante monotonie l’infinie variété des détails connus dans l’application des formules, en vantant l’élégance et l’uniformité de leurs méthodes, en y pliant peu à peu l’enseignement tout entier de la science dans tous les pays, ont acquis à leurs procédés préférés une autorité, je dirai presque une tyrannie, sous laquelle les méthodes opposées, plongées dans un sommeil que nul ne troublait plus, semblaient mourir faute d’alimens.

On raconte qu’il y a une trentaine d’années à peine, un profes-