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des horizons assez larges pour satisfaire les plus vastes ambitions. Si les traitans ne sont pas tous sans tache, ils se purifieront par le travail, qui tôt ou tard rend l’homme honnête, par la lutte contre les difficultés qu’on rencontre à la naissance de toute colonie, difficultés augmentées encore à Madagascar de l’insalubrité du climat sur la côte. Il y a du reste, proclamons-le bien vite, parmi les Français de Tamatave bon nombre d’honorables exceptions, et plus d’un de nos compatriotes retiré dans ces parages pourrait être cité autant pour sa profonde intelligence des affaires que pour sa haute moralité.

Des trois cents traitans environ établis sur cette partie de l’île, les deux tiers sont Français; le reste est Anglais ou Américain. Il y a aussi des Arabes venus surtout de Zanzibar et des Comores, des Hindous et des Banians échappés de Bombay, enfin un Chinois, le seul, je crois, mais dans tous les cas le plus laid, je l’affirme, parmi les fils du Céleste-Empire, qui ait encore foulé le sol de Madagascar. C’est un des plus fins marchands que j’aie jamais rencontrés, un des plus heureux et des plus infatigables travailleurs aussi de cette race patiente et laborieuse qui commence à s’épancher par le monde. Ko-kong occupe dans la grande rue de Tamatave un magasin toujours bien fourni. Il vend de tout, mais au comptant : du vin et des liqueurs de France, des drogues et des fruits du pays, des sauterelles grillées qu’on mange en guise de crevettes[1]. Ko-kong vend encore des nattes tressées avec le jonc indigène, des étoffes ou rabanes tissées avec les fils du raffia, du tabac en carotte et des cigares de Tananarive; il vend des toiles d’Europe ou de l’Inde, du riz, de la viande, des lambas fabriqués avec le coton ou la soie aux vives couleurs, des perroquets en cage, des makes captives, du thé de la Chine, et tout cela le sourire sur ses grosses lèvres, avec un louable effort pour se montrer gracieux à chacune de ses nombreuses pratiques. Notre Chinois, comme tous les enfans de l’Empire du Milieu, est aussi quelque peu changeur : c’est toujours lui qu’on va chercher quand on veut la menue monnaie d’une piastre; il a toujours ses étuis de bambou bourrés de ces petits morceaux d’argent que les Malgaches se plaisent à découper dans une pièce de 5 francs. Il prend l’or au pair, et, la balance indigène à la main, vous en donne loyalement le poids. — Depuis combien de temps, Ko-kong, es-tu à Tamatave? lui demandai-je un jour. — Aux prochaines bananes, je crois bien qu’il y aura deux ans, répondit-il, créant ainsi une nouvelle façon de compter qu’on retrouve également dans nos campagnes, et qui vaut bien celle des calendriers.

  1. En attendant que la fabrication de la soie ait pris chez eux un plus grand développement, les Malgaches mangent aussi des chrysalides.