Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/985

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que celle accordée à M. Lambert était une mesure encore trop hâtive. Dans tous les cas, il était prématuré d’agir dès le début sur des bases aussi larges dans cette grande île, où le blanc n’est pas vu de bon œil par les indigènes. Enfin la suppression des droits de douane, dont avaient vécu uniquement jusqu’alors les employés de la côte, était un article du traité de commerce sur lequel la réflexion aurait dû nous foire revenir, il est vrai que ce fut Radama lui-même, dont la part sur cet impôt s’égarait toujours sur le chemin du littoral à la capitale, qui exigea, pour la durée de son règne, la suppression des droits de douane en signant le traité, et en faisant de ce point délicat l’objet d’un article additionnel; mais il eût fallu avoir un peu de bon sens pour lui, et, restreignant la charte Lambert, supprimant l’article additionnel du traité de commerce relatif aux droits dédouane, assurer l’avenir de l’œuvre que l’on voulait fonder.

M. Dupré avait vu assez bien les choses lors de son premier voyage, et presque deviné ce qui devait inévitablement arriver des avantages trop facilement obtenus du roi Radama II. En politique comme en mécanique, l’action appelle toujours la réaction. La révolution malgache du 12 mai 1863, quelles que soient les raisons qu’on ait voulu lui donner, n’a été qu’une réaction du parti des nobles, trop vite sacrifié par Radama II dans ce pays où la noblesse est établie sur des bases aussi solides et se montre aussi jalouse de ses droits qu’en Europe aux plus beaux temps de la féodalité. Le doute pourrait-il exister à ce sujet quand on voit, dans la relation publiée par M. Dupré sur sa première mission, que le roi, avant de conclure le traité d’amitié et de commerce avec la France, ayant voulu le soumettre à l’examen et à la discussion des principaux chefs, au nombre de plus de deux cents, il y avait eu presque unanimité contre l’acceptation? « La défiance qu’inspirent les blancs à Madagascar, la crainte de les voir s’emparer par leur travail et leur industrie de toutes les richesses du pays, de l’île elle-même peut-être, avaient dicté l’opposition des chefs, nous dit M. Dupré, opposition si générale, si violente, que les hommes les plus éclairés n’avaient osé la combattre[1]. » Néanmoins le roi passa outre, pour montrer que sa décision était irrévocable. On a vu comment huit mois après, jour pour jour, l’infortuné monarque payait de sa vie ses généreuses intentions et sa courageuse initiative.


II.

Le jour même où arrivait à Tamatave la nouvelle du rejet de toutes les propositions du commandant Dupré, le 18 octobre 1863,

  1. Trois mois de séjour à Madagascar; Paris, Hachette, 1863.