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avec les deux agens officiels, intervint vainement dans le débat, tantôt comme conciliateur, tantôt comme interprète. A la fin, Raharla demanda un sursis pour envoyer un exprès à Tananarive. Cette fois la réponse ne se fit pas attendre. Le courrier chargé de porter la dépêche fit à pied en dix jours le voyage d’aller et retour de Tamatave à la capitale. Il y a près de 40à kilomètres de distance à travers des sentiers souvent très difficiles, et l’altitude de Tananarive est de 14 à 1,500 mètres. La réponse fut négative sur tous les points : la reine, à l’instigation de son premier ministre, rejetait les sages conseils de son agent, et nous adressait le projet de traité déjà reconnu inacceptable[1]. L’envoyé de la France avait fait cependant précéder son ultimatum d’une menace, menace terrible, s’il l’eût mise à exécution. Il était venu s’embosser devant le fort de Tamatave avec sa frégate, avec les avisos le Curieux et le Surcouf, celui-ci récemment arrivé de Lorient. Un transport même, la Licorne, attaché au port de Saint-Denis et envoyé à l’île Sainte-Marie sur la côte est de Madagascar, était venu un moment, sur la demande de M. Dupré, augmenter le chiffre de notre escadrille. Rien n’épouvanta la cour d’Émirne; mais le peuple de Tamatave s’effraya beaucoup et s’enfuit dans la campagne, emportant, comme le philosophe antique, sa maison sur son dos, c’est-à-dire quelques hardes et la traditionnelle marmite en fonte où l’on fait cuire le riz quotidien.

  1. Le traité signé entre la France et Radama II ne renferme pas moins de vingt-deux articles; il rappelle par ses clauses les traités précédemment conclus dans des occasions analogues, notamment avec l’iman de Mascate et le roi de Siam. Le nouveau traité que voulait faire le gouvernement malgache était réduit aux sept points qui suivent, et dont nous donnons, d’après M. Laborde, la traduction littérale.
    « Art. Ier. Il est défendu pour toujours d’exporter des esclaves de Madagascar, et quant aux navires qui en importeront pour y être vendus, ils ne seront pas reçus dans l’île.
    « Art. 2. Le tanghin est aboli à tout jamais.
    « Art. 3. On n’empêchera pas le peuple de prier comme il l’entendra. On ne forcera non plus personne à suivre tel ou tel culte. Chacun sera libre de prier à sa guise.
    « Art. 4. Le consul français pourra rester à Madagascar pour preuve de l’amitié qui existe avec la France, parce que cette amitié est vraie.
    « Art. 5. La France pourra faire du commerce avec Madagascar, puisque la bonne intelligence existe entre les deux nations; mais ses navires ne pourront aborder dans les endroits où il n’y a pas de poste militaire.
    « Art. 6. On prélèvera des droits de douane, car c’est un usage qui existe chez toutes les nations.
    « Art. 7. Le souverain de Madagascar pourra établir les lois qu’il lui plaira dans son pays. »
    Le tanghin, dont il est parlé à l’art. 2, est, on le sait, un poison végétal des plus terribles retiré de l’amande du tanghinia veneniflua, et que les Malgaches, sous Radama 1er et Ranavalo, employèrent à de trop fréquentes épreuves judiciaires, assez semblables à notre jugement de Dieu. Peut-être les effets parfois foudroyans du tanghin sont-ils dus à une grande quantité d’acide prussique que renferme l’amande.