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kabare, une collation fut servie, où l’on fêta les vins et les liqueurs d’Europe, depuis le vermouth jusqu’à l’aï mousseux. Le vieil Andriamandrouze reçut ses nouveaux hôtes du mieux qu’il put, après quoi il leur donna congé, et ceux-ci, sans débotter, prirent, musique en tête, le chemin du port, où nous les vîmes s’embarquer pour se rendre à bord de la frégate. Les tsimandos, le chef couvert d’un énorme turban, mais les pieds nus, étaient vêtus du lamba sacramentel, manteau de soie aux couleurs bigarrées dans lequel ils se drapaient comme de vieux Romains dans leurs toges. Raharla portait avec beaucoup d’aisance un uniforme de sénateur français qui lui allait fort bien. Les jours suivans, il se montra aussi dans notre costume bourgeois. Quant à Rainivoumiale, coiffé, suivant une invariable habitude, d’une casquette galonnée, il avait l’air, grâce à son pantalon à bandes et à sa redingote aux boutons d’or, grâce aussi à son teint fortement basané et à sa taille trapue, d’un nègre de bonne maison qui serait venu se perdre d’un hôtel des Champs-Elysées sur le sable de Tamatave.

Le commandant de l’Hermione accueillit fort bien ces envoyés. Il les honora du nombre de coups de canon dont on salue les ambassadeurs; il alla même, oubliant sa réserve jusque-là si grande, recevoir à l’échelle son ami Raharla, chez qui il avait logé pendant tout le temps de sa première mission à Madagascar. Les envoyés de la reine et leurs ombres furent invités à un grand dîner. On leur donna même au dessert le spectacle d’un branle-bas de combat dans les règles, avec toutes les émotions de la lutte, abordage, incendie, etc.; mais ils n’y comprirent goutte, car on se borna à des simulacres : on fit mine de tirer le canon sans brûler un gramme de poudre. Presque chaque jour la compagnie de débarquement opérait devant les ambassadeurs ébahis, sans plus de succès. Ces manœuvres étaient trop savantes pour des Malgaches, et la moindre fantasia, avec les cris et les fusillades de rigueur, aurait bien mieux fait leur affaire. Eux qui tant de fois avaient dû voir les Antaïmoures, cette tribu guerrière du sud, ouïes Sakalaves indomptés de l’ouest, armés de la sagaie à la pointe effilée et du bouclier de peau de bœuf, se provoquer fièrement dans les fêtes publiques, bondissant comme des lions et poussant des cris féroces, de quel œil indifférent ils devaient suivre la charge en cinq temps et cinq mouvemens et nos exercices militaires où tout procède avec une régularité si froide, si mathématique !

Cependant les conférences allaient leur train en malgache ou en anglais, Raharla et Rainivoumiale comprenant assez bien cette dernière langue, qu’ils ont apprise en Europe; mais on parlementa beaucoup, et l’on ne fit rien. M. Laborde, descendu de Tananarive