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religion à de rares petits enfans que les parens veulent bien leur envoyer. Les sœurs de Saint-Joseph de Cluny sont chargées de l’éducation des filles. Une rue sépare l’établissement des missionnaires catholiques du fort ou de la batterie, vaste redoute circulaire à la double enceinte, aux casemates couvertes, aux talus gazonnés, aux barbettes garnies de vieux canons de fonte. Cette redoute a été construite jadis par des Arabes de passage improvisés architectes militaires pour le compte de Radama Ier. Dans le fort est la maison du gouverneur de la province et des principaux officiers; au centre flottait le drapeau blanc national, qu’on s’était empressé d’arborer pour signaler notre arrivée, et où étaient inscrits en lettres rouges le nom de la nouvelle reine et le millésime de l’année : Rasoaherina manjaka ny Madagascar, 1863. A côté du fort se présente le tribunal civil; quant au village militaire, où sont cantonnés les soldats avec leur famille, entouré d’une enceinte de pieux, il est caché par la végétation des dunes, et l’on ne peut l’apercevoir de la mer. Revenant le long du rivage, on passe devant une série d’assez vilaines cahutes, toutes dressées, suivant la coutume du pays, sur des pilotis sortant du sol. Ce sont de sombres et sales réduits où grouillent des Malgaches sans nombre et des Arabes des Comores ou de Zanzibar que l’amour du gain et des affaires a portés jusque-là. Enfin, avant d’arriver à la pointe Mananzarès, on trouve l’établissement de la douane, dont les constructions baignent presque dans l’eau, sans doute pour mieux permettre aux douaniers de se faire payer des traitans qui embarquent là leurs marchandises. Sur ce point gisent aussi les pirogues du pays halées sur la plage, où les caresse la marée. Les canots des navires de commerce, aussi actifs que les pirogues sont paresseuses, vont et viennent sur la rade, portant à bord des bœufs qu’on traîne à la nage, des sacs de gomme ou de riz. Une corvette à vapeur de guerre anglaise, la Gorgone, mouillée dès la veille et détachée de l’île Maurice pour suivre sans doute nos mouvemens, complétait le chiffre de la petite flotte commerciale et militaire que les besoins du négoce ou de la politique avaient amenée devant Tamatave au mois d’août 1863. Tous ces navires, au large les uns des autres, contribuaient singulièrement à varier les détails du paysage, déjà si nouveau pour nous.

Pendant que l’Hermione jetait l’ancre et que, charmés de la vue qui s’offrait à nos regards, nous essayions d’embrasser dans un seul coup d’œil le vaste espace qui s’étend de l’île aux Prunes au Mananzarès, un envoyé du gouverneur, monté sur une pirogue, se présenta à bord. Cet officier, le vieux Ramare, chef de la police, portait un brillant uniforme sillonné sur toutes les coutures des arabesques les plus compliquées. Le tricorne était garni de plumes