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Raboude lui avait témoigné beaucoup d’égards : elle s’était montrée à lui pleine d’amabilité et de grâce, plus sérieuse aussi que son mari. M. Dupré avait donc toujours espéré que les bons conseils de cette femme intelligente ne pourraient qu’agir puissamment sur l’esprit de Radama, et soutiendraient ce jeune roi dans la difficile mission qu’il s’était imposée; mais tout avait subitement changé depuis. La reine, dominée par son premier ministre Rainivonynahitriniony et ayant peut-être eu quelque part à la révolution qui avait emporté son mari, ne fit à l’envoyé de la France que des réponses fort évasives. Ce qui semblait clair cependant, c’était que la cour d’Émirne refusait de donner suite au traité de commerce que l’empereur venait de ratifier, et qui portait la signature de Radama et de ses ministres. On demandait des modifications qui rendaient le traité nul et non avenu. Pour donner à ce revirement subit une apparence de justice, on avait imaginé d’effacer de l’histoire le règne de Radama II : moyen ingénieux sans doute, mais qui devait peu satisfaire la France, qui s’était tant avancée en reconnaissant pour la première fois un roi de Madagascar et en signant un traité avec lui[1].

Cependant une partie des colons de la Réunion, qui avaient vu un moment se lever tous les obstacles jusque-là contraires au libre commerce avec Madagascar, la terre nourricière de leur île, les membres de la mission eux-mêmes et à leur tête M. Lambert, retenus à Saint-Denis, étaient impatiens d’agir et de voir M. Dupré prendre une décision. De son côté, le commandant de l’Hermione, qui devait trouver à Tamatave les réponses de la reine, quittait Saint-Denis le 30 juillet. Monté à bord de sa frégate et convoyé par l’aviso à vapeur le Curieux, il fit voile pour Madagascar, emmenant une partie de la mission. Poussée par les brises de sud-est, qui à cette époque de l’année soufflent régulièrement dans ces parages, l’Hermione arriva le 1er août au soir à Tamatave, et vint mouiller derrière le grand récif de corail qui forme une jetée naturelle et un excellent abri sur cette côte si peu hospitalière.

Nous touchions enfin à Madagascar, la terre de nos rêves. Aussi,

  1. Ce traité, conclu le 12 septembre 18G2 à Tananarive et ratifié le 11 avril 1863, a paru au Moniteur du 20 avril de la même année. Il est signé par M. Dupré au nom de la France, et pour Madagascar par Radama II, qui voulut à toute force y apposer son nom, lui donnant ainsi une ratification anticipée, puis par trois de ses ministres : Rainilaïarivony, commandant en chef, Rahaniraka, ministre des affaires étrangères, et Rainiketaka, ministre de la justice. Le premier paraît avoir été l’un des principaux instigateurs de la révolution du 12 mai, dans laquelle Rahaniraka est resté neutre. Rainiketaka, moins heureux, y a perdu la vie : il faisait d’ailleurs partie du corps des menamasses ; le fils de notre consul-général à Tananarive, M. Laborde, est le seul des menamasses qui ait échappé.