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sorte de fièvre toutes ses pensées vers Victor. Dès lors cependant elle allait voir en lui moins l’amant qu’elle avait rêvé que l’homme qui devait l’aider à se venger de Maxime.

Entre Victor et Mme Dorvon, il ne pouvait y avoir de pareils combats. Une tendresse pleine et puissante, cimentée par de longues années de bonheur, n’avait point poussé dans leurs cœurs d’assez profondes racines. Néanmoins ils étaient en proie à un malaise extrême. Ils avaient cherché à s’oublier, ils avaient cru un instant y avoir réussi et constataient maintenant qu’ils avaient trop présumé de leurs forces. Ils s’étonnaient des singuliers mouvemens de plaisir et de souffrance qu’ils avaient en présence l’un de l’autre. A quoi bon ces souvenirs d’un passé dont ils s’étaient volontairement séparés par des affections nouvelles? Est-ce que l’amour de Laurence, de cette femme si remarquable par son esprit, son élégance et sa beauté, n’était pas de nature à remplir tout entier le cœur de l’homme qu’elle avait distingué? Et l’entraînement de Maxime, de cet homme si renommé pour ses succès et si habile appréciateur du mérite d’une femme, ne suffisait-il pas à cicatriser chez Mme Dorvon de légères blessures d’amour-propre? Assurément cela devait être. Victor et Gabrielle étaient donc heureux. Ils s’estimaient tels, et pourtant gémissaient de leur bonheur. Ils étaient semblables à ces exilés qui, même au sein des plaisirs et dans un pays enchanté, regrettent la patrie qu’ils ont perdue et qu’ils doivent renoncer à revoir.

Quoi qu’il en fût de ces instinctifs remords, de ces révoltes de la conscience contre des joies coupables, Maxime et Victor, Gabrielle et Laurence persistaient dans la voie tortueuse où ils s’étaient engagés. Cet abîme paré de fleurs les attirait. On eût dit qu’ils ne voulaient point perdre le bénéfice de ce qu’ils avaient déjà fait de mal. Ils étaient repentans de leur faute, mais séduits par elle. On ne se repent vraiment en effet que de la faute accomplie, quand les plaisirs en sont épuisés et qu’elle ne laisse après elle que le vide et les déceptions. Ils s’observaient du reste avec un soin excessif. Tout les y invitait : le respect des convenances que les gens de mœurs polies n’abdiquent jamais, une certaine pudeur dans la préparation même d’une œuvre de perfidie, et surtout peut-être, s’ils s’avançaient imprudemment, la crainte d’être frappés en retour dans leurs attachemens les plus profonds, les plus sincères. Situation étrange! Ils n’étaient plus sous le charme de ces caprices d’imagination, de ces fantaisies de sympathie qu’ils avaient d’abord caressés; ils n’avaient plus de curiosités tendres ou coquettes, ne faisaient plus sur eux-mêmes de mélancoliques retours. Loin d’eux était le temps où, sur le seuil de l’infidélité, incertains encore de ce qu’ils feraient, ils avaient tous les plaisirs, toutes les frayeurs de l’inconnu. Depuis le