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un engouement subit. Elles ne voient alors que l’homme qui leur plaît, et c’est à peine si quelque circonstance décisive, en les persuadant de sa nullité ou de son manque de cœur, suffit à les en détacher. Or Maxime ne pouvait se flatter qu’aucune épreuve de ce genre réussît contre Victor. Il lui restait à le congédier, mais c’était confesser sa propre infériorité. C’était remplacer chez Laurence, par un rappel à la stricte observation de ses devoirs, l’affection libre et l’admiration qu’elle avait eues jusque-là pour lui. Il attendait donc avec anxiété le moment où il ne croirait plus possible d’agir autrement et voulait espérer que ce moment ne viendrait pas; mais cette situation, fort dangereuse pour un mari et singulière pour Maxime, qui ne l’avait jamais subie, lui était très dure. Mme Dorvon se conduisit à l’égard de Maxime avec une habileté toute féminine. Elle reconnut que cet homme, qui avait longtemps goûté les joies profondes, mais un peu sévères de la passion, serait surtout séduit par un commerce de galanterie aux allures tendres et faciles qui ne solliciterait que son esprit et sa vanité. Elle suivit admirablement d’abord ce plan qui dénotait sa parfaite liberté de cœur. Elle mit à point précis dans sa toilette, dans ses mouvemens, dans les changeantes expressions de sa physionomie, la hardiesse et la grâce qui devaient la rendre irrésistible. Il est rare néanmoins que de ces luttes de sentiment, si courtoises qu’elles soient, on sorte sans blessures. Le triomphe de Gabrielle était complet, mais elle n’y fut pas aussi insensible qu’elle se l’était promis, et en eut à Maxime quelque reconnaissance. L’intimité à laquelle ils s’étaient conviés prit le caractère particulier de cette sympathie qui, par les rêves qu’elle évoque, par les désirs qu’elle fait naître, touche de si près à l’amour. Si on leur eût dit qu’ils s’aimaient, ils eussent refusé de le croire, et parfois cependant ils confondaient leurs pensées, ils échangeaient d’ardens regards, comme s’ils le croyaient. Ils ne se doutaient pas que le moment approchait où chacun d’eux, pour son propre compte, serait pris au piège de cette coquetterie dont il aurait tenté de recueillir les avantages sans en courir les périls.

Un matin ils étaient partis à cheval pour une assez longue excursion aux environs du château. Les incidens de cette promenade où plusieurs fois, dans des passages difficiles qui les forçaient à mettre pied à terre, Maxime soutint Mme Dorvon, le repas improvisé qu’ils firent dans une ferme, cette solitude à deux loin de tout regard, les avaient plus étroitement unis qu’ils ne l’avaient encore été. Quand ils se retrouvèrent à l’entrée des grandes avenues du parc, ils eurent le regret de cette journée si rapidement écoulée. D’un commun accord, ils ralentirent l’allure de leurs chevaux. Mme Dorvon avait dénoué les brides de son chapeau de paille, et ses beaux cheveux