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effrayé. En pensant à Laurence, il aurait voulu n’avoir point connu Gabrielle ou ne l’avoir point aimée.

Le lendemain, Laurence était radieuse. Depuis longtemps adulée, accoutumée aux hommages, les recherchant pour eux-mêmes et ne désirant rien au-delà, elle ne se croyait pas coupable. Elle était tranquillement rentrée en possession d’un cœur qu’on avait eu l’audace de lui disputer. Victor, embarrassé, doutait que la scène de la veille se fût réellement passée. Ne s’était-il pas mépris d’ailleurs aux paroles de Laurence? Mme Dorvon était sérieuse; Maxime était aimable comme toujours, avec une nuance d’observation peut-être. La joie expansive de Laurence, la contrainte de Victor et de Gabrielle l’inquiétaient. Cependant il fallait quelque temps pour que la situation respective des différens hôtes des Chênes se dessinât nettement. L’existence qu’ils menaient au château les mettait presque constamment en présence les uns des autres, et les obligeait à beaucoup de réserve. La soirée se prolongeait souvent assez loin dans la nuit : on se levait tard, et l’après-midi était employée à des promenades faites en commun. Maxime, qui surveillait les travaux d’exploitation de ses terres, s’absentait parfois. Soit qu’il n’eût pas de véritables soupçons, soit qu’il lui répugnât de se poser en mari ombrageux, il continua le même genre de vie. Il y avait donc de longues heures où Victor était seul entre les deux femmes. Ces heures, autrefois si courtes pour eux trois, leur étaient maintenant pénibles. Ils demeuraient silencieux, ou leur parole avait de ces réticences perfides, de ces traits acérés par lesquels se trahit l’hostilité sourde. Gabrielle cependant était la moins forte à ce combat. Victor et Laurence s’étaient tacitement alliés pour décourager en elle toute prétention. Elle s’affligea bientôt. Ne voyait-elle point s’évanouir en effet les doux projets qu’elle avait conçus? Libre comme elle l’était de son cœur et de sa main, elle avait pensé à les donner à Victor. Tout l’avait charmée en lui, sa physionomie mâle, l’énergie de son caractère, jusqu’à ce besoin d’affection qu’il confessait avec simplicité et qu’elle s’était flattée de satisfaire. Hélas ! elle n’avait été pour lui que le caprice de quelques jours et en était tristement humiliée ; mais elle aussi se félicitait de ne s’être point déclarée et surtout de n’avoir rien dit à Laurence. Elle pouvait du moins, sans que sa dignité fût compromise, laisser le champ libre à ces amans. Elle le fit, mais non sans souffrir. Ses regrets, son chagrin, trop souvent visibles malgré ses efforts, la rendaient plus touchante, et Victor, honteux de sa conduite envers elle, s’adressait ces inutiles reproches qui tourmentent, sans le ramener en arrière, un cœur épris d’espérances nouvelles.

Néanmoins, au bout de quelques jours, Victor était, ainsi que Lau-