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DE VICTOR A MAXIME.


Mai 1858.

Votre lettre, mon cher ami, m’a profondément ému. Je me rappelle parfaitement Mlle Laurence Rebens. C’est la plus remarquable jeune fille que j’aie jamais connue. Sa beauté avait au plus haut degré un caractère intelligent et sympathique. Moi qui ne me montrais pas aussi dédaigneux que vous à l’endroit de ces demoiselles, je l’ai souvent entendue causer. Sa conversation abondait en traits fins et spirituels. Elle réunissait, ce qui est si rare chez une jeune fille, le charme de l’adolescence et de la candeur à la grâce exquise de la femme. Tout en elle promettait pour l’avenir un mélange égal d’énergie et de tendresse. Cela se révélait d’ailleurs dans sa physionomie. Ses yeux noirs étaient doux et profonds sous leurs sourcils délicatement arqués, son front haut, légèrement bombé, et encadré de beaux cheveux. Sa bouche avait une ravissante expression folâtre et sérieuse. Hélas! je vous la retrace telle que je l’ai vue, lorsque ce jeune visage ne peignait que la confiance et la joie. Ce n’est point le portrait que vous m’en faites; mais avec le bonheur, avec votre affection, toute cette splendeur éclipsée brillera bientôt d’un éclat plus vif et plus touchant. Les malheurs qui frappent la jeunesse ressemblent aux orages du printemps, ils ne laissent d’autres traces de leur passage que la radieuse sérénité qui leur succède. Vous ne vous étiez point trompé. Je n’ai eu besoin que de lire la première moitié de votre lettre pour pressentir la pensée qui vous viendrait. Ne sais-je point de longue date les élans et la générosité de votre cœur? La meilleure preuve que vous avez raison d’épouser Mlle Rebens, c’est qu’il ne manquera point de gens pour vous blâmer. On dira que vous faites une folie. Que vous importe? Laissez dire les sots et les méchans. Une folie! D’ailleurs en est-ce une? Vous épousez une femme d’une famille honorable, admirablement douée, éprouvée par le malheur, et qui vous aimera, mon cher Maxime. De quoi vous effraieriez-vous donc, vous jusqu’à ce jour si adulé, si courtisé par les femmes? Serait-ce de votre âge? Vous le portez plus vertement que bien des jeunes gens, vous pouvez m’en croire. Ne me permettriez-vous pas de vous railler doucement à ce sujet, et l’aurais-je fait, si j’en avais eu quelque véritable motif? Mlle Rebens hésite, dites-vous. L’étonnant serait qu’elle n’hésitât pas. Avec sa nature si droite et si sincère, ne doit-elle pas, avant de se donner à vous, interroger sa conscience et son cœur? Son orgueil et sa fierté légitime ne doivent-ils pas craindre de céder au désir de reconquérir dans le monde la place qui lui ap-