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si laborieux et si simple agit sur son âme, Marc-Aurèle nous le dit lui-même dans ses Pensées. Nous savons aussi par les lettres qu’il écrivait alors à son maître Fronton quelles étaient ses occupations à la campagne, comment il partageait ses journées entre les plaisirs champêtres et l’étude. Il chasse, il pêche, il s’exerce au pugilat, à la lutte, il se mêle aux vendangeurs. « J’ai dîné d’un peu de pain... Nous avons bien sué, bien crié, et nous avons laissé pendre aux treilles quelques survivans de la vendange (il pense à faire la part du pauvre)... Revenu à la maison, j’ai un peu étudié, et cela sans fruit. Ensuite j’ai beaucoup causé avec ma petite mère, qui était sur son lit. » Puérilités, dira-t-on, fade innocence! Non, de pareils détails ne peuvent être indifférens à ceux qui savent que la simplicité du cœur dans la jeunesse n’est pas seulement une grâce, mais une force, et que les plus hautes vertus des grands hommes n’ont été d’abord que d’aimables qualités. Et qui sait si ces causeries du jeune homme avec sa mère ont été inutiles au bonheur du monde? Marc-Aurèle empereur, à la fin de sa vie, se recueillant et se traçant ses maximes, commence à peu près son journal par ces mots : « Imiter ma mère, m’abstenir comme elle non-seulement de faire le mal, mais même d’en concevoir la pensée. » Au milieu de ces calmes influences de la famille, de la campagne et de la philosophie, Marc-Aurèle garda cette pureté de l’âme et du corps à laquelle il attachait un si grand prix, que dans sa vieillesse il lui rendait encore hommage, lorsque, remerciant les dieux de tous les biens dont ils l’avaient comblé, il n’oubliait pas d’écrire : « Je leur dois encore d’avoir conservé pure la fleur de ma jeunesse, de ne m’être pas fait homme avant l’âge, d’avoir différé au-delà même : » curieux témoignage où la pudeur de l’expression embellit encore la délicatesse du sentiment. Malgré l’universelle corruption, la philosophie, de plus en plus épurée et scrupuleuse, commence à comprendre que la chasteté peut être la parure même de la jeunesse virile, et ses enseignemens sur ce point sont assez efficaces déjà pour conjurer tous les périls qui assiègent en tout temps un jeune et bel héritier de la puissance suprême.

Ce qui nous plaît et nous touche dans cette précoce sagesse, c’est qu’elle n’a pas été le fruit d’une éducation timide, efféminée ou étroite. La jeunesse de Marc-Aurèle fut celle d’un Romain, non asservie à des prescriptions minutieuses, mais libre, occupée de belles études, allant droit au bien volontairement, sans contrainte et comme attirée par la beauté morale. En toutes choses, dans les sciences, dans les arts, dans les lettres, il considère seulement tout ce qui peut élever l’âme et former les mœurs. Il le fait bien voir dans son livre lorsque, reportant sa pensée sur sa jeunesse et son