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gea, dit-on, les jours du noble et tendre poète. Une pièce non signée et restée jusqu’à ce jour inconnue y suppléerait, si rien pouvait remplacer un écrit de Racine. On trouve parmi les papiers de Louvois, à la date de janvier 1686, un mémoire sans signature, respectueux dans la forme, exagéré sans doute dans l’exposé des faits, mais projetant sur cette époque, où les malheurs du règne se dessinaient à peine, de tristes lueurs qui font pressentir ceux des années suivantes, quand la guerre, cette guerre funeste qui devait durer plus de vingt ans, commença à sévir.


« La France (disait l’auteur du mémoire), qui étoit naguère le magasin des richesses et l’habitation des plus heureux peuples de la terre, semble dégénérer sous le règne du plus grand des rois par une fatalité dont on ressent les effets sans en pénétrer la cause. En effet, on ne voit partout que des fermes abandonnées, des nobles ruinés, des marchands en faillite, des créanciers désespérés, des pauvres moribonds, des paysans désolés, des maisons en ruine... Un François zélé pour la gloire de son souverain s’est transporté à diverses reprises dans toutes les provinces de France et dans tous les états qui l’avoisinent à dessein de découvrir cette cause, et il est en état de démontrer d’où vient qu’en France l’or et l’argent deviennent si rares, que les grands seigneurs sont dans une espèce d’indigence, et que les artisans, faute de travail, vont établir chez les étrangers tant de riches manufactures, pourquoi les plus grands marchands ont fait banqueroute depuis vingt ans, par quelle raison les terres qui valoient dix mille livres de rente bien payées n’en valent pas six mal payées... »


L’auteur du mémoire insistait ensuite sur la dépopulation des villes, l’engorgement des hôpitaux, l’émigration des catholiques eux-mêmes, et il s’offrait enfin pour conjurer tant de maux. Je sais le cas qu’il faut faire des donneurs d’avis, et combien ils tiennent de près aux utopistes; mais, les couleurs du tableau fussent-elles chargées, la situation bien connue des années qui suivirent ne permet pas de tout nier. Il n’est que trop certain que la révocation de l’édit de Nantes avait porté un coup fatal à l’industrie et au commerce, restaurés, au prix de tant de sacrifices, par le patriotisme énergique et patient de Colbert; il est certain encore que deux ans après, quand la guerre de 1688 éclata, le contrôleur-général Le Peletier, qui n’avait pu traverser sans d’extrêmes difficultés une période de paix, déclina le fardeau malgré les instances réitérées de Louis XIV. Pourquoi donc (car on ne saurait trop le redire, et ces retours vers le passé peuvent être utiles dans les situations les plus différentes), pourquoi les sages avis de Turenne, de Colbert, de Vauban, n’avaient-ils pas été suivis et leur avait-on préféré ceux de Le Tellier et de Louvois? L’habileté suprême n’est-elle pas de conquérir les cœurs par la persuasion, par les voies de douceur, avec l’aide du temps, en réservant la rigueur pour les cas extrêmes