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et le drapeau fédéral, rouge avec la croix blanche au milieu. Le village avait un air de fête ; partout des guirlandes, les drapeaux français, italiens, allemands, flottaient aux fenêtres, ornées de magnifiques fleurs élevées comme dans une serre entre les doubles vitrages qu’on laisse en place pendant toute l’année. En arrivant, des commissaires nous assignaient notre logement ; un hôte empressé recevait le naturaliste qui lui était adressé, et la cordialité de l’accueil était telle que chacun croyait rentrer dans un home nouveau créé par l’hospitalité. Le soir, tous les arrivans se réunirent à l’hôtel Bernina. D’anciens amis se retrouvaient avec bonheur, des hommes qui se connaissaient par leurs travaux, mais n’avaient d’autre point de contact que l’amour de la science, se liaient étroitement en quelques heures.


I. — LA SESSION DE SAMADEN.

La séance d’ouverture eut lieu le lendemain, 24 août, dans l’église de Samaden. Le fût des colonnes était entouré de guirlandes, des échantillons de minéralogie couvraient les piédestaux, la croix fédérale brillait au-devant de la chaire, convertie en corbeille de fleurs : le temple de Dieu était devenu le temple de la science. M. Rodolphe de Planta, représentant de l’une des plus anciennes familles de l’Engadine et membre du conseil national de la Suisse, avait été nommé président de la session : le règlement a sagement décidé que ce président serait toujours choisi dans la localité où la société se réunit. Son discours d’inauguration était l’histoire abrégée, mais fidèle, des populations au milieu desquelles nous allions passer quelques jours. Deux races ont pénétré dans les vallées qui découpent les Alpes rhétiques : le versant nord est occupé par des Celtes qui s’avancèrent jusque dans la Haute-Italie, lorsque Bellovesus, suivi de ses sept clans gaulois, conquit le pays et fonda Milan. Aussi retrouve-t-on dans l’Engadine des noms de famille d’origine celtique, et ceux de plusieurs montagnes, le Juliers, l’Adula, le Luxmagnus ou Lukmanier, indiquent des passages où le Celte voyageur sacrifiait à Jul, dieu du soleil. L’immigration des Étrusques du côté du sud est encore plus certaine. Chassés par les invasions successives des barbares du nord, ils se réfugièrent dans ces hautes vallées sous la conduite d’un chef appelé Rhætus, d’où le nom de Rhætia, que portait dans le moyen âge le canton actuel des Grisons. Thusis dans la vallée de Domleschg (Vallis domestica), les trois forts de Reams (Rhætia alta), Realta (Rhætia alta) et Rhæzuhs (Rhætia ima) sont des appellations dérivées du latin. La plupart des villes et des villages le long de l’Inn, de l’Adige et de l’Adda