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était attaquée par la populace, traitée de Savoyarde, menacée d’être menée en prison. Vers la même époque, le peuple avait fait des feux de joie sur le faux avis de la mort du prince d’Orange. Bien que ces mouvemens eussent un caractère patriotique, ils déplaisaient à Louis XIV, qui avait toujours présent le souvenir des désordres de la fronde. Au sujet de l’insulte faite à la princesse de Carignan, Seignelay écrivit à La Reynie (16 août 1690) que a cela, joint à ce qui étoit arrivé à l’occasion du prince d’Orange, avoit décidé sa majesté à réprimer l’insolence du peuple; elle lui ordonnoit donc d’informer sur ce qui s’étoit passé à l’égard de la princesse de Carignan, et, si les faits étoient vrais, de poursuivre les auteurs de ces violences. » Puis le 22 il écrivait : « Le roi vient d’apprendre la nouvelle d’une victoire remportée en Savoie par M. de Catinat, et comme sa majesté appréhende que la populace ne tombe dans le même inconvénient que ces jours passés à l’occasion de la fausse nouvelle de la mort du prince d’Orange, elle m’ordonne de vous écrire de prendre vos mesures pour empêcher qu’on ne fasse aucuns feux, à moins que sa majesté n’en envoie les ordres aux magistrats en la manière ordinaire. »

Un exemple suffira pour montrer que l’action de la police sous Louis XIV avait souvent à s’exercer dans un ordre de faits où ni la politique, ni la religion, rien enfin de ce qui passionne les esprits n’était atteint. Pour favoriser le débit des étoffes de soie, un édit au moins singulier avait défendu, en 1694, de se servir pour les habits de boutons d’étoffe, au lieu des boutons de soie employés jusqu’alors. Le sens droit de La Reynie lui fit comprendre que la réglementation, poussée à cet excès, dépassait le but, et il écrivit en conséquence à Pontchartrain, qui lui fit cette réponse significative :


« 9 juillet 1696. — J’ai lu au roi votre lettre entière au sujet des boutons d’étoffe. Elle a fait un effet tout contraire à ce qu’il sembloit que vous vous étiez proposé, car sa majesté m’a dit et répété très sérieusement, malgré toutes vos raisons, qu’elle veut être obéie en ce point comme en toutes autres choses, et que, sans distinction, vous devez confisquer tous les habits neufs et vieux où il s’est trouvé des boutons d’étoffe et condamner à l’amende les tailleurs qui en ont été trouvés saisis. Ne proposez donc plus sur cette matière des expédions, et condamnez avec rigueur tous ceux qui ont été ou qui pourront être trouvés en contravention. »


On est confondu de voir l’autorité d’un souverain dont le règne compte de si belles pages appliquée à de telles futilités. Qu’aurait fait Colbert, s’il avait pu prévoir que son système industriel serait exagéré à ce point et, on peut le dire, jusqu’au ridicule? Comment s’étonner après cela qu’une ordonnance du 24 février 1683 condamne à la prison tout détenteur de viandes, volailles ou gibier