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en matière littéraire, et même chatouilleux, si l’on peut dire. Il n’aurait supporté de la part de personne qu’on lui fît sa leçon sur ce chapitre, et M. de Vigny, par trop d’insistance, put bien commencer dès lors à l’agacer un peu. Quoi qu’il en soit, les discours faits, ils durent être lus avant la séance publique, et selon l’usage, devant une commission de l’Académie. Je puis assurer que, dans cette réunion qui précéda de deux ou trois jours la séance solennelle, ces deux discours, qui devaient prendre une physionomie si accentuée en public, lus sans emphase et sans mordant, et comme il convenait à des lecteurs assis en petit comité autour d’un tapis vert, ne choquèrent personne, pas même le récipiendaire. Quelques observations furent faites qui n’avaient aucune intention blessante, ni aucun caractère d’hostilité ni d’aigreur : elles portèrent uniquement sur l’exactitude de certains faits et de certaines interprétations historiques. En se levant après la lecture, M. de Vigny prit non pas la main, mais les deux mains de M. Molé, en le remerciant et en l’assurant qu’il n’avait pas moins attendu de sa courtoisie et de sa bienveillance. Bien que fort contredit dans cette réponse du directeur, il ne crut pas sans doute qu’elle pût nuire à son succès.

Comment put-il donc se faire qu’à la séance publique les discours aient rendu un effet et un son tout différens? A cela je dirai pour réponse : Comment se fait-il que la première représentation d’une œuvre dramatique trompe si souvent la prévision et l’attente de ceux qui ont assisté à une répétition générale? C’est une seule et même question. La séance publique fut ici, en effet, des plus dramatiques; elle le devint, et voici comment.

Et dans ce qui suit, ou je me trompe fort, on peut trouver une leçon d’art et de goût oratoire, un petit supplément anecdotique à ajouter à toutes les rhétoriques connues. J’y voudrais un chapitre qui aurait pour titre : Des effets d’audience, et ceci en ferait partie.

M. de Vigny avait écrit un discours fort long, dont le sujet principal, comme on sait, était l’éloge de M. Etienne; ce discours, le plus long qui se fut jusqu’alors produit dans une cérémonie de réception, il trouva moyen de l’allonger encore singulièrement par la lenteur et la solennité de son débit. Qui ne l’a pas entendu ce jour-là n’est pas juge. L’éloquence, on le sait, est tout entière dans le geste, dans le jeu, dans l’action. M. de Vigny était volontiers formaliste et sur l’étiquette : il le fut cent fois plus en ce jour où il semblait contracter les nœuds de l’hyménée académique. Je me rappelle que, quelques instans avant la séance, M. de Vigny en costume, mais ayant gardé la cravate noire, « par un reste d’habitude militaire, » disait-il, rencontra dans la galerie de la bibliothèque de l’Institut, et au milieu de la foule des académiciens, Spontini, également en