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Oracles et qui semble une leçon à l’adresse de tous les rois : Et mine, reges, intelligite. Le poète ne se montre pas plus favorable dans un cas que dans l’autre aux assemblées politiques ni aux cortès d’aucun temps; mais en dernier lieu il est évident que toute sa foi royaliste s’était retirée de lui. Légitimité ou quasi légitimité, il en avait fait pareillement son deuil. Je dis là ce que chacun sait. Ainsi M. de Vigny lui-même, cette noble nature qui n’eut d’autre visée que de rester une et fidèle à son premier mot une fois proféré, ainsi, pareil en cela à plus d’un, il vit se voiler en lui ses religions, s’éclipser et s’éteindre ses soleils, et il fut réduit comme un autre à dire non et jamais après avoir dit oui et toujours.

Éloa ou la Sœur des Anges, mystère, parut en 1824, cette fois avec le nom de l’auteur : la forme était religieuse, la forme seule; pour le fond, on était et l’on nageait en pure poésie. Le sujet pouvait sembler étrange et bien nouveau, même après Lamartine et Chateaubriand. Jésus a versé une larme en voyant Lazare mort, et bien qu’il sût en son cœur qu’il allait bientôt le réveiller. Or, cette larme donnée par l’amitié, cette larme divine du Fils, recueillie dans l’urne de diamant des séraphins et portée aussitôt aux pieds de l’Éternel, s’anime sous le rayon de l’Esprit-Saint et devient tout d’un coup une forme blanche et grandissante, un ange, qui répond au nom d’Éloa. C’est tout une chrétienne et mystique métamorphose. Faut-il chercher un sens moral, philosophique, à ce poème? faut- il n’y voir qu’un thème magnifique et neuf de poésie? Éloa, cette créature d’amour et de pitié, cette âme née d’une larme, se sent le besoin d’aimer un affligé, de consoler un inconsolable, et, parmi tous les anges, son instinct est de choisir celui précisément qui a failli, celui qu’on n’ose nommer dans le ciel, Lucifer lui-même. Elle n’en a entendu dire que du mal à ses frères les anges, qui ont eu l’imprudence de lui en parler un jour : c’est assez pour que déjà elle se destine à lui et qu’elle l’aime. Tout ange qu’elle est, Éloa est bien femme; ce n’est qu’une nouvelle Eve créée par le Fils, comme la première l’avait été par le Père, et qui, comme Eve, tombe aussi, mais de plus haut et avec infiniment plus de charme. Satan aussi cette fois se montre plus séduisant que le serpent; c’est un Lovelace enchanteur, un don Juan qui a de célestes murmures. A un moment, il s’en faut même de peu que le bon principe ne l’emporte sur le mauvais, qu’Éloa n’attendrisse son tentateur, que la vierge angélique ne rouvre le ciel au criminel repentant :

Qui sait? le mal peut-être eût cessé d’exister!


Mais elle manque l’instant propice; le démon redevient plus démon que jamais, et c’est elle-même qui tombe, qui est entraînée par le