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REVUE. — CHRONIQUE.

juste de la philosophie de ce temps consulteront avec fruit les ingénieux, solides et consciencieux Mémoires[1] qu’un de nos philosophes les plus regrettés, M. Damiron, avait publiés, il y a quelques années, sur cette époque intéressante, et dont le troisième volume posthume nous est donné aujourd’hui. Le véritable intérêt de ces Mémoires est précisément le partage si décidé et si sincère que l’auteur a su faire entre toutes les opinions du XVIIIe siècle. Autant il adopte avec foi, je dirais presque avec enthousiasme, les grandes idées libérales du XVIIIe siècle, autant il répudie avec énergie ses théories matérialistes et athées. Ce partage, que l’école de Rousseau, de Mme de Staël, de M. Cousin et de M. Jouffroy avait cru pouvoir faire au commencement de notre siècle, est de nouveau mis en question ; de nouveau la liberté de penser paraît s’engager dans toutes les négations. Les conseils fermes et purs d’un noble esprit sont donc d’une parfaite opportunité. Tel est l’attrait des Mémoires de M. Damiron, où l’on ne trouvera pas sans doute le feu de la jeunesse et l’élan d’une pensée téméraire, mais le doux éclat d’un esprit reposé, la sérénité de l’âge, sans aucun mélange de ce désenchantement et de cette amertume qu’il apporte souvent avec lui.

L’auteur de l’introduction qui précède ce dernier volume, M. Ch. Gouraud, a signalé avec justesse et bonheur le remarquable caractère de ces écrits, où il semble que la réfutation du faux sorte beaucoup moins des argumens de l’auteur que de l’esprit de haute moralité qu’il a maintenu partout sans effort en présence de cette société équivoque des d’Holbach, des Lamettrie, des Diderot, dans laquelle son sujet l’obligeait à vivre : « Rien que cette attitude, dit M. Charles Gouraud, d’une âme pure et d’un esprit bien fait au milieu de ces intelligences intempérantes, faibles ou déréglées, forme un enseignement ou un spectacle dont la pureté parle au cœur et subjugue la raison. Je ne crois pas qu’on ait jamais vu dans aucun livre de critique morale la police des idées basses se faire ainsi d’elle-même avec cette aisance et cette autorité, par la seule vertu de l’intervention au milieu d’elles d’une conscience parfaitement pure et d’une raison parfaitement droite. » Cet excellent jugement est le vrai. C’est bien là l’originalité de ces Mémoires, qui ont été le dernier ouvrage de M. Damiron, et qui resteront comme le meilleur de ses écrits. Dans cet ouvrage, M. Damiron est prêtre pour ainsi dire par l’onction, par le sentiment, par une sorte de foi pleine de candeur et de douceur ; mais il est philosophe par la tolérance, par l’équité de la critique, par l’effort qu’il fait pour avoir raison, par l’absence d’anathèmes pour ses adversaires, par le respect de la pensée, même dans ses égaremens.

Le volume posthume sur la Philosophie au dix-huitième siècle se compose de trois mémoires, l’un sur Maupertuis, l’autre sur Dumarsais, le troisième sur Condillac. Ce troisième mémoire est le dernier de l’auteur, et, par une circonstance bien touchante, il a été en quelque sorte le dernier adieu du philosophe. Il le lisait à l’Académie le jour même de sa mort, que rien au monde ne faisait prévoir. À peine rentré chez lui, il va se reposer

  1. Mémoires pour servir à l’histoire de la Philosophie au dix-huitième siècle, par M. Ph. Damiron, de l’Institut, avec une introduction de M. Ch. Gouraud.