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REVUE. — CHRONIQUE.

main d’enfant la cendre de tout ce qui avait brillé et dominé. Eh bien ! est-ce indifférence ou résignation ? elle n’a ni murmuré ni récriminé ; mais, rejetant à haute voix toute fâcheuse solidarité, elle est rentrée en elle-même, s’est repliée sur sa conscience, a revendiqué son libre arbitre et son libre effort. Quelles que soient les leçons que l’histoire ait pu lui donner, la jeunesse n’est pas fataliste, ses défenseurs l’affirment du moins ; elle pense que des fautes ont été commises, et que c’est elle qui les expie ; elle est née en pleine crise, n’a recueilli pour tout patrimoine qu’amertume et désenchantement, et elle a de plus la douleur de voir ses anciens douter de son sens et de son courage. En politique, en religion, en littérature, elle n’est la fidèle d’aucun temple ; elle écarte tout symbole préparé d’avance, elle aime avant tout la discussion, et son esprit, quoi qu’on dise, ne s’accommode pas du scellé. Elle est, il est vrai, en désaccord avec cette parole, tant répétée : « il faut savoir montrer l’esprit de son âge et le fruit de sa saison ; » mais, ses défenseurs appuient sur ce point, quand la tête des hommes mûrs est pleine de chaos, quand les idées ont reçu des faits un démenti provisoire, la jeunesse n’a-t-elle donc qu’à rire, à chanter ou à folâtrer ? Dans la situation que les choses lui font, elle montre sa force par son silence et son recueillement. Elle n’ignore pas que ce certain excédant de pensées et d’aspirations qu’elle sent fermenter en elle ne peut pas être une non-valeur ; elle sait que l’âme est comme le budget d’un gouvernement, qu’elle a ses dépenses ordinaires et ses dépenses extraordinaires : les premières, c’est tout simplement cette activité que l’on déploie dans le train de la vie commune et banale ; les autres, c’est ce flux intermittent d’idées et de passions qui monte en nous, comme ces grandes marées qui dépassent à de certains jours le niveau marqué dans nos ports. Ce dernier fonds, la jeunesse le tient en réserve, l’économise à dessein. En faut-il conclure qu’elle demeure indifférente à toute question, à tout intérêt d’un ordre élevé ? Est-ce sa faute, à elle, dit M. Gournot dans son livre, a si la fonction réservée aux hommes mûrs ne s’est point faite ? Là où la jeunesse devait trouver une œuvre commencée et d’un dessin ferme, une route ouverte, une marche décidée et sûre, elle a recueilli le vide, l’indécision, les contradictions, l’indifférence. Le patrimoine commun des générations a manqué aux dernières venues. Les mains de nos prédécesseurs étaient vides avant les nôtres : la chaîne était brisée. »

Que faire alors ? Lire, étudier, observer, se pétrir le cœur et l’esprit à l’image des hommes que l’on respecte. Tel est le travail silencieux des jeunes gens d’aujourd’hui, de ceux-là du moins avec lesquels il faudra compter. Ces allures, sans fixer sur eux l’attention, ne les rendent pas moins originaux ; elles permettent de les reconnaître, comme les jeunes gens de toutes les époques, à un je ne sais quoi qui leur est propre : leur attitude, leur sourire, leur silence même les désignent à qui a des yeux ; ils se taisent et ils attendent : quum lacent, clamant, eut dit Cicéron en les regardant.

Ne jugeons donc pas une génération sans considérer le milieu social où elle vit et se meut ; les âmes, pour s’affirmer au dehors, ont besoin de l’aveu des circonstances. Qui sait ce que notre jeunesse pourrait produire,